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Interview AEP

Michel PRIEUR, professeur émérite de droit de l’environnement et président du Centre International du Droit Comparé de l’Environnement

AEP : Quel est le sens fondamental que revêt la spécificité de cette formation  sur le droit de l’environnement ?

Michel PRIEUR : Un des éléments importants et tout à fait innovant de ce symposium, c’est la possibilité qu’on a eu de présenter une méthode nouvelle pour apprécier l’effectivité du droit de l’environnement, c’est-à dire pour apprécier comment les Etats et spécialement les Etats africains mettent en application le droit de l’environnement, c’est-à dire à la fois les conventions internationales qui s’imposent aux Etats et le droit national qu’ils ont adopté. Jusqu’à présent, on ne pouvait pas mesurer l’effectivité du droit de l’environnement parce qu’on avait simplement des indications très  générales au titre de l’évaluation des politiques publiques. Il en résultait des bilans très généraux sur l’état de l’environnement fondés uniquement sur des indicateurs scientifiques rendant compte de l’amélioration  de l’environnement ou de sa dégradation. Mais ces bilans ignoraient la contribution du droit de l’environnement à l’état de l’environnement.

Avec la recherche qui a été entreprise avec l’aide de l’IFDD, de l’UN Environnement et de l’UICN, on a mis au point une méthode nouvelle qui permet  une investigation sur les diverses phases du processus juridique d’application du droit de l’environnement. Après l’adoption de la loi il s’agit de l’appliquer. Comment l’appliquer ? Il faut le concours de toutes les  personnes qui vont effectivement l’appliquer : l’administration, des contrôleurs,  les juges, la société civile et les ONG, des entreprises.

Il faut déterminer à chaque étape de l’application comment ça se passe réellement : est-ce que les gens connaissent la loi ?  Parce que pour appliquer la loi, il faut d’abord la connaitre. Ensuite, est-ce que les gens interprètent bien la loi ? Quelle est la position des juges puisque il va y voir aussi une formation des magistrats qui va être mise en place sur l’application du droit de l’environnement. Comment les juges appliquent la loi ? Comment ils l’interprètent ?  Et quand les juges l’ont appliqué ils vont prononcer peut-être des condamnations, il y a des dommages -intérêts et des mois de peines de prison; est-ce que ces peines sont  effectivement exécutées ? Bref, on va jusqu’au bout de ce qu’on appelle la chaîne du processus juridique d’application du droit pour vérifier si la loi est effectivement appliquée.

Une fois qu’on a fait l’inventaire de toutes ces étapes de l’application du droit, on a mis au point une méthode pour mesurer mathématiquement les différents facteurs qui contribuent à cette application du droit qu’on appelle des « indicateurs juridiques ». On va mesurer ces indicateurs juridiques et on pourra au final avoir une appréciation qui est un peu arbitraire mais qui repose quand même sur des bases scientifiques et donne une information utile sur l’application du droit. Cette information permettra de dire : dans ce pays la loi sur l’eau est bien appliquée, la loi sur l’air est moyennement appliquée,  la loi sur la protection de la nature n’est pas du tout appliquée. On donnera ainsi des moyens à l’Etat, au parlement, au gouvernement, à la société civile, de demander des améliorations sur l’application du droit de l’environnement en connaissance de cause. Ces  améliorations seront fondées sur une évaluation scientifique des conditions de l’effectivité de l’application du droit. C’est un instrument tout à fait nouveau, très utile pour renforcer l’application du droit de l’environnement afin d’avoir une plus grande efficacité. Il s’agit d’être sûr que le droit de l’environnement est utile et utilisé. En effet on peut se poser la question : depuis quarante ans beaucoup de lois sur l’environnement et de traités internationaux sur l’environnement  ont été adoptés, mais la situation de l’environnement s’est parfois améliorée, parfois dégradée, mais on ne sait jamais pourquoi ?

Est-ce que les législations actuelles ne sont pas assez fortes, ou ce sont les institutions elles-mêmes qui ne sont pas assez fortes ?

En général  les lois adoptées sur l’environnement sont satisfaisantes. Ce qui est insuffisant c’est leur application. Dans nos mesures d’effectivité on va donc évaluer le rôle des institutions afin de savoir s’il y a une institution spéciale chargée d’appliquer la loi  et s’il y a assez des fonctionnaires pour contrôler. Tous ces éléments vont entrer en ligne de compte et à la fin, on aura des indices qui nous permettront de mieux améliorer l’organisation à la fois des institutions, du droit  et du fonctionnement de l’ensemble du système. L’idée c’est toujours d’aller vers un progrès dans l’amélioration de l’état de l’environnement à travers des audits qui sont juridiques en l’espèce mais en sachant qu’il n’y a pas que le droit qui contribue à l’amélioration de l’environnement. Il y  a aussi des facteurs économiques, sociologiques et culturels qu’on va prendre en compte mais qu’on ne peut pas mesurer de la même façon qu’on mesure l’application du droit.

Le droit n’est qu’un élément, les autres éléments sont : l’économie, la culture et la connaissance. A cet effet, le droit est un élément déterminant sur lequel on va pouvoir agir. Le droit est  également un élément moteur. On peut démontrer grâce aux indicateurs juridiques  que le droit est un outil de l’amélioration de l’état de l’environnement.

Comment cette législation peut être également applicable au niveau des Etats si au niveau des conventions internationales elles ne sont pas encadrées par des mesures répressives ou non contraignantes ?  

Dans notre proposition de méthode, il y a à la fois le volet du droit international et national. Dans le volet du droit international, on étudie de façon très précise comment le droit international c’est-à dire les conventions ont été ratifiées par les Etats, comment elles sont effectivement appliquées dans l’Etat. On va identifier justement les facteurs qui font qu’elles ne sont pas bien appliquées. Est-ce parce qu’elles ne sont pas connues ?, ou  parce qu’elles sont trop compliquées ? Ou encore  parce qu’elles ne sont pas bien rédigées ? Peut-être  manque-t-on de moyens financiers ou le budget prévu est insuffisant ?

On va détecter les causes et l’origine de la mauvaise ou de la non application ou au contraire on va constater les facteurs qui contribuent à une bonne application. Cela va renforcer l’effectivité non seulement du droit national mais aussi du droit international qui n’a d’intérêt que s’il est appliqué par les Etats.

Bien qu’étant difficile et compliqué, on peut aussi mesurer les dispositions du droit international qui sont non contraignantes, dans des déclarations générales, dans les résultats des conférences internationales qui sont ce qu’on appelle le droit mou  (ou soft law). Ces dispositions nécessitent aussi une prise en compte nationale à travers des plans, des programmes ou des mesures incitatives ou volontaires. On va donc  essayer de suivre le cheminement des processus qui conduisent à la mise en œuvre non seulement des conventions internationales mais aussi des principes généraux du droit international même s’ils ne sont pas encore contraignants. On va les retrouver peut-être dans des déclarations politiques ou même parfois dans des lois nationales.

C’est toute cette complexité des sources du droit de l’environnent qu’il faut essayer de reconstituer, d’analyser systématiquement, d’évaluer, de mesurer pour ensuite en tirer des conséquences pour les progrès que chaque Etats doit réaliser pour atteindre à la fois les objectifs du développement durable et l’amélioration continue de l’environnement en alertant sur les éventuelles régression du droit de l’environnement qui font obstacles à cette amélioration et préjudicient aux droits des générations futures.

Quelle est la leçon à retenir de ce symposium ?

La leçon à retenir c’est que l’effectivité n’est pas simplement un idéal, mais doit devenir une réalité concrète. On a des moyens scientifiques pour évaluer cette effectivité autrement que de façon totalement artificielle  ou arbitraire. Et par conséquent, on va essayer d’expérimenter parmi des Etats africains volontaires ceux qui voudront tester concrètement ces mécanismes d’évaluation grâce à des indicateurs juridiques propres aux spécificités de chaque culture. Nous avons évoqué cela en relation avec la mise en application des Objectifs de Développement Durable(ODD) 2030 où  hélas on ne fixe pas aux Etats des objectifs par rapport à l’application du droit de l’environnement , comme si celui-ci n’existait pas !  Il n’y a pas que les instruments économiques et incitatif pour appliquer les ODD, il y a aussi le droit. Il faut alors montrer que le droit de l’environnement  est un instrument  utile pour l’application des  ODD.

Alors nous avons ici un échantillon de juristes, de magistrats, dans un sens beaucoup plus global  est-ce qu’ils devaient intégrer des formations spécifiques en ce qui concerne le droit de l’environnement ?

Oui, il faut des formations pour les magistrats mais aussi pour les fonctionnaires, les ministères  de l’environnement et les diplomates, toute la société est concernée. Le droit de l’environnement n’est pas réservé à une caste. Il est au service de tous, il doit donc être appréhendé et connu de tous.

Je  parle des formations diplômantes, la formation de base sur le droit de l’environnement.

Bien sûr ! Parce qu’on a constaté que dans les écoles de magistrature il n’y a pas souvent  ou pas assez de  formations sur le droit de l’environnement. L’idée c’est de développer ces formations en droit de l’environnement  dans ces écoles pour sensibiliser et former les magistrats à ce nouveau champ du droit puisqu’ils vont avoir de plus en plus à traiter des affaires de droit de l’environnement.

Jusqu’à présent il n’y a pas assez de jurisprudence. Mais, il y en aura de plus en plus puisqu’il y a de plus en plus de lois sur l’environnement, des conventions signées par les Etats. Il faut donc que  les magistrats se mettent à s’informer d’abord sur les nouveaux enjeux sociétaux liés à l’environnement, puis se former  au contenu de ce droit nouveau en l’abordant à la fois en droit international et en droit comparé. En effet les jurisprudences  d’autres pays confrontés aux mêmes problèmes, sont un enrichissement réciproque, grâce à ce qu’on appelle le dialogue des juges dans le monde.

C’est pour cela qu’on va développer des programmes de formation de droit de l’environnement pour les écoles de  magistrature.  Cela doit être non seulement pour les futurs magistrats, les auditeurs de justice, mais cela doit être aussi une formation continue pour les magistrats déjà en poste parce qu’à l’heure actuelle les cas qui arrivent ce sont les magistrats déjà en poste qui les traitent et non les jeunes magistrats.

Or, les magistrats déjà en poste, quand ils étaient à la Faculté de Droit il y a une dizaine voire une vingtaine d’années de cela, n’avaient  pas de formation en droit de l’environnement. Il est significatif de constater que plus de 140 magistrats africains déjà en poste ont suivi depuis 2004 le Master 2  (DICE) à distance en droit international et comparé de l’environnement offerte par l’Université de Limoges avec le soutien de l’Agence universitaire  de la francophonie.

J’insiste beaucoup sur la formation continue pour les magistrats en poste parce que de nos jours, ce sont eux qui rédigent les arrêts donc il faut commencer par eux. Et évidemment après, il faut former les jeunes qui seront en responsabilité dans cinq ou dix ans.

 

Par Raoul SIEMENI

 

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