L’un des défis les plus pressants pour l’Afrique est de parvenir à satisfaire la demande alimentaire nouvelle qu’implique sa croissance démographique. En 2050, la population sur le continent sera en effet deux fois et demie plus nombreuse qu’aujourd’hui. Une évolution qui risque de confronter le développement agricole et les systèmes alimentaires des pays d’Afrique subsaharienne à des défis considérables.
D’autant que le continent africain connaît en parallèle un déclin de la taille de ses exploitations. Un phénomène qui s’explique principalement par l’augmentation de la population agricole, les coutumes traditionnelles en matière d’héritage foncier et l’urbanisation rapide qui stimule la conversion des terres cultivées. À ces défis majeurs s’ajoute le changement climatique, qui pourrait encore compromettre les perspectives de sécurité alimentaire.
Les sécheresses représentent moins de 20 % de l’ensemble des catastrophes qui touchent le continent, mais provoquent 95 % des décès qui leur sont liés, et représentent plus de 80 % du nombre de personnes touchées par des événements climatiques extrêmes en Afrique. La situation est particulièrement préoccupante dans l’est qui a connu au cours des deux dernières décennies un certain nombre de sécheresses dramatiques aux répercussions importantes sur l’environnement et le bien-être socio-économique des populations de la région.
Les crises combinées du Covid-19, des variations climatiques et de l’invasion des criquets pèlerins exacerberont les effets négatifs sur l’approvisionnement alimentaire, les revenus et la sécurité alimentaire dans l’une des régions les plus pauvres du monde et déjà sujette à des épisodes climatiques extrêmes.
Le climat et les humains en cause
Du fait des variations climatiques et des activités anthropiques, la fréquence des sécheresses dans la région a doublé, passant d’une fois tous les 6 ans à une fois tous les 3 ans depuis 2005. Dans la chronologie historique des épisodes répertoriés en Afrique de l’Est, la plupart ont été enregistrés après les années 1980 – les années 1985, 2003 et 2010 en tête.
C’est un phénomène récurrent depuis des millénaires, qui se manifeste souvent sous la forme d’événements endémiques à la région. Pourtant, l’une des principales forces motrices de la sécheresse dans la région est la variabilité climatique intra-saisonnière et inter-annuelle du système climatique. La complexité et la variabilité du phénomène El Niño-oscillation australe (ENSO), les variations irrégulières des températures de la surface de l’eau (SST) et les rétroactions terre-atmosphère sont étroitement liées à l’apparition de la sécheresse dans la région.
Au-delà de l’influence de la variabilité climatique, l’action humaine sur l’environnement a également joué un important rôle dans la modification des phénomènes de sécheresse. Parmi les principaux facteurs, le changement d’utilisation des terres, la dégradation des terres, la déforestation, le brûlage et l’exploitation minière. La forte croissance démographique augmente la pression sur les ressources terrestres limitées et fragiles et conduit à une exploitation non durable des ressources, entraînant des dommages environnementaux.
En outre, les activités humaines telles que l’urbanisation des terres agricoles, la surexploitation des ressources en eau, ainsi que les investissements dans des projets de développement à grande envergure, ont un impact considérable sur les sécheresses. De nombreux travaux ont mentionné un lien entre les causes qui apparaissent du fait des changements climatiques et des activités anthropiques.
Les effets des sécheresses récurrentes
Estimée à 445 millions d’habitants en 2019, la population est africaine est principalement tributaire de l’agriculture pluviale et de l’élevage nomade, et donc fortement sensible aux précipitations. Les zones agricoles-clés, situées dans le nord-ouest du Sud-Soudan, le nord-est de l’Érythrée, est du Kenya, nord-est de la Tanzanie, sud de la Somalie, et du nord (Kaabong) et du sud-est (Kiruhura) de l’Ouganda, sont aussi les régions les plus sévèrement touchées par la sécheresse.
De façon inéluctable, ces épisodes répétés menacent dangereusement la sécurité alimentaire de la région : en Somalie, la sécheresse de 2010-2011 a provoqué autour de 260 000 décès et a été à l’origine d’une forte instabilité socio-économique dans le pays ainsi qu’au Kenya et en Éthiopie. À Djibouti, les épisodes survenus entre 2008 et 2011 ont par ailleurs entraîné une récession annuelle d’environ 3,9 % du PIB.
En générant une diminution des revenus des agriculteurs, les sécheresses constituent la principale cause de la famine, de l’augmentation des prix des denrées alimentaires, du chômage, des migrations et des conflits pastoralistes.
En temps de crise, ces chocs climatiques peuvent plonger les ménages vulnérables dans un cycle vicieux de pauvreté. Beaucoup se voient contraints à liquider des actifs productifs tels que le bétail ou la terre en échange de nourriture, ne peuvent plus rembourser leurs prêts, sont forcés à réduire la qualité et la quantité des aliments consommés et à retirer les enfants de l’école. Une spirale qui renforce à terme la transmission de la pauvreté.
L’intensité, la fréquence et la durée accrues des sécheresses auront des conséquences désastreuses sur l’agriculture, l’élevage de bétail, l’eau et l’assainissement.
Vers une résilience aux sécheresses
Sur le plan régional, les pays d’Afrique de l’Est se sont organisés pour lutter contre les effets des sécheresses récurrentes sévères et d’autres catastrophes naturelles à partir des années 1980. Ils ont notamment créé en 1996 l’autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) en Afrique de l’Est, en remplacement de l’autorité intergouvernementale sur la sécheresse et le développement (IGADD) fondée en 1986.
Des efforts plus poussés sont nécessaires, qui mettent l’accent sur la réhabilitation de l’environnement, le développement de l’agroécologie et le développement des nouvelles variétés agricoles, plus résistantes à la sécheresse. Dans la région de Morogoro en Tanzanie, les agriculteurs ont par exemple adopté des cultures résistantes à la sécheresse pour survivre, comme le sorgho et le millet, et diversifié leur activité de subsistance par un emploi salarié ou en fabriquant du charbon de bois et des briques.
Le maintien de la qualité des sols, la gestion de l’eau, la diversification des revenus et le renforcement des institutions locales sont des stratégies d’adaptation importantes qui peuvent renforcer la résilience.
L’absence prolongée de pluies se traduit par une diminution anormale du débit des cours d’eau, des eaux souterraines, des réservoirs et du niveau des lacs. Il est donc urgent de surveiller et de gérer plus efficacement les ressources hydriques afin de renforcer les dispositifs d’alerte précoce.
Pour lutter contre les cycles de sécheresse et contrôler la crise de la faim, la coopération régionale entre les gouvernements locaux et nationaux, les citoyens, les parties prenantes, les scientifiques et les responsables politiques est capitale.
Sougueh Cheik, Docteur en sciences de l’environnement (écologie des sols), iEES-Sorbonne Université UPMC PARIS VI, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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