Plus de 25 ans dans la lutte pour un environnement saint et responsable. Journaliste de formation, a un parcours atypique. Eu égard de son comble noble, il se voit couronner en novembre 2012 par le Président français, François Hollande, comme envoyé spéciale de ce dernier pour la protection de la planète. Dans ces attributions, il a sillonné dans 4 pays de l’Afrique Centrale. Il donne la quintessence de sa mission…
Afrique environnement plus : Vous êtes actuellement en tournée en Afrique centrale dans le cadre d’une
mission officielle. Peut-on savoir l’objectif de cette mission ?
Nicolas HULOT : La mission m’a été confiée par le Président F. Hollande et celle-ci m’a permis de visiter 4
pays de l’Afrique Centrale. Elle est d’abord diplomatique tournée vers les enjeux du long terme, au premier rang desquels nous avons les enjeux climatiques, conjointement aux enjeux de biodiversité et ceux liés aux océans et à la désertification, car tous sont transversaux. L’objectif de cette mission est de faire remonter à la surface de nos préoccupations, tous ces enjeux qui conditionnent la solidarité auxquels l’ensemble de la communauté internationale est attachée. D’une façon spécifique, il y a un sujet qui justifie ma présence en Afrique Centrale : il s’agit de la menace de disparition des éléphants des forêts en Afrique centrale. C’est un sujet qui ne peut pas se traiter avec une vision seulement verticale, mais il s’inscrit dans une problématique beaucoup plus large : la protection de la biodiversité, de la préservation de la forêt et des écosystèmes dans lesquels vivent les éléphants, qui est très proche, d’ailleurs, du problème lié aux grands singes et à d’autres animaux emblématiques. Et là, il y a une véritable urgence parce que, s’il n’y a pas de solutions
nouvelles dans les 5 ans à venir, selon les scientifiques, les éléphants des forêts pourraient être amenés à disparaître. C’est plus qu’un symbole, la disparition des éléphants des forêts serait une espèce de digue derrière laquelle serait menacé à court terme tout un grand nombre d’espèces. Le but de ce voyage consiste à écouter d’abord les acteurs de terrain, les responsables politiques, comprendre pourquoi
en dépit d’un certain nombre d’efforts et de moyens qui ont été mis en oeuvre depuis de nombreuses années sur cette problématique particulière, on n’a pas réussi à endiguer, ce phénomène, bien au contraire, il est en train de s’accélérer. A l’issu des voyages qui se prolongeront, d’ailleurs dans les pays d’Asie qui sont les consommateurs d’ivoires, je ferai un rapport et je regarderai quelles initiatives diplomatiques en France ou en Europe où on peut prendre pour aider à endiguer cette menace.
Vous avez rencontré les autorités de quatre pays visités, que retenez-vous à la suite de ces échanges ?
Ce que je retiens de cette visite dans les 4 pays, les problématiques communes et qu’il y a des causes diverses à la disparition des éléphants. Il y a ce qu’on appelle ici et ailleurs le braconnage de subsistance, qui reste quelque part à une petite échelle et qui vaut d’être encadré, mais qui n’est pas le vecteur
principal. Ensuite, vous avez aussi, autour de l’ivoire, une criminalité organisée qui est excessivement
intéressante en termes de profit pour les intermédiaires et commanditaires. Et enfin, vous avez un 3ème phénomène qui peut déstabiliser la région dans lequel un certain nombre de groupes se sont emparés de la criminalité, parce qu’il y a des profits importants pour pouvoir acquérir des armes supplémentaires. Donc, il y a maintenant un problème de sécurité régionale. Le premier message est que l’Afrique centrale seule et notamment la CEEAC ne pourra pas faire face à cette problématique si elle n’a pas un soutien diplomatique et parfois technique de la communauté internationale. La seconde chose qui est aussi importante est qu’au-delà de l’aide internationale qui peut être fournie : il y a des responsabilités nationales, des problèmes de
gouvernance, de corruption, d’impunité et la capacité pour faire appliquer un certain nombre de règles et aussi le fait que maintenant les écogardes ou les rangers sont totalement dans certains territoires dépassés par l’ampleur du phénomène. C’est un problème complexe où chacun doit essayer d’apporter sa contribution pour ne pas se réduire à ce que les éléphants de forêts disparaissent dans les 10
prochaines années.
Vous avez aussi rencontré la société civile qui peine à se faire entendre ou à être accompagnée dans les projets de développement qu’elle conduit. Quel message leur avez-vous apporté ?
Il y a d’abord le message qu’elle m’a envoyé : un SOS où elle se sente parfois bien isolée et que les bonnes initiatives sont parfois effacées par des pratiques, soit de certaines entreprises qui s’exonèrent un certain nombre de responsabilités, des thèses et des mécanismes qui sont sensés régler les problèmes, mais arrivés sur le terrain tout cela ne fonctionne pas. La promesse que je leur ai faite est que je tiens compte de leurs doléances et à chaque fois je rends compte aux responsables politiques, je fais le relais
et je ne me suis privé d’aucune rencontre que ce soit un ministre ou un Chef de l’Etat pour servir d’ambassadeur et de médiateur. Parfois les Chefs d’Etats eux-mêmes n’ont pas toute la lecture des informations car on essaie de tamiser la réalité, mais j’essaie de donner une lecture des plus objectives et réalistes des choses.
L’Afrique est présentée comme l’un des continents les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Mais, l’on constate que certaines promesses devant lui permettre d’assurer une meilleure transition vers l’économie verte sont restées sans suite tel que le fonds vert. A votre avis, qu’est ce qui peut justifier ce manquement ?
Il y a d’un côté les promesses qui ont été prises à Copenhague et dont il semblerait qu’une partie d’entre elles n’ont pas encore été tenues, notamment les fonds Fast Start. Nous avons les mécanismes qui ont été élaborés notamment le REDD+ qui demande un certain nombre de procédures. Et lorsque j’étais en RDC, le ministre de l’environnement et des forêts se rendait à Paris pour justement proposer ses plans d’action qui permettront de bénéficier des subventions de REDD+, donc cela prend un certain temps et cela est conditionné à une préparation, un inventaire et une mise en œuvre. C’est vrai que cela y va de la crédibilité de toutes ces conférences, donc un certain nombre de promesses sont prises et non tenues. Pour moi, la responsabilité est partagée et on doit regarder les choses avec vérité.
20 ans après Kyoto, il n’y a toujours pas eu accord sur la réduction chiffrée des gaz à effet de serre. Au regard de l’actualité et des événements que l’on constate partout dans le monde, ne pensez-vous pas que nous ayons atteint un cap de non retour en ce qui concerne notre combat pour le sauvetage de la planète ?
Cela fait 25 ans que je me suis engagé aux côtés des ONG, parce que parallèlement à ma mission au gouvernement, je suis le premier à être désespéré et à attirer l’attention en Europe, ici et ailleurs sur le fait que nous devons passer des mots aux actes. Je suis aussi le premier à dire que nous allons bientôt franchir l’irréversible, et d’ailleurs les événements commencent à nous donner raison, pas seulement en Afrique qui est la première exposée sur ces sujets, mais aussi avec ce qui se passe en Europe, en France, à Lourdes, et aux Etats Unis, tous ces événements climatiques impactent nos économies. Je ne
peux simplement ne pas me résigner au fatalisme, mais vous avez raison, et les scientifiques nous l’avaient dit, si l’on rentre dans la fourchette de 2 degrés d’élévation de température, cela impliquera des changements profonds dans nos sociétés et on ne pourra y faire face. A-t-on déjà franchi l’irréversible ? Je ne veux pas m’y résigner mais à titre personnelle, je suis programmé pour dire et répéter les mêmes choses dans un langage de vérité. Je ne suis pas un décideur, mais plutôt un ambassadeur de la planète
et l’heure n’est plus au grand discours, il faut agir. Il y a des solutions et chacun doit prendre sa part de responsabilités ici et ailleurs et personne ne peut s’en exonérer.
L’Europe est l’un des principaux partenaires d’Afrique en matière de développement et la crise qu’elle traverse se fait aussi ressentir à travers les différents projets africains financés par les fonds européens. Pensez-vous qu’à l’avenir les questions de changement climatique soient toujours au coeur de vos préoccupations ?
Je suis le premier à craindre que la crise économique que traverse l’Europe donne une raison supplémentaire de repousser cette préoccupation. C’est la raison pour laquelle, pour la première fois, j’ai accepté une mission du gouvernement pour ne pas me résigner à cela. Voilà pourquoi j’interpelle l’ensemble des responsables politiques à ne pas baisser les bras au prétexte que nous avons des problématiques immédiates, parce que tout se conjugue et cette crise économique peut être aussi
justifiée par le fait que nos économies soient impactées par des crises écologiques. La rareté des ressources, notamment énergétiques, le changement climatique chez nous et aux Etats Unis commencent à impacter le PIB. Il y a donc un modèle économique d’urgence à reconstruire, mais à partir du moment où l’on est d’accord qu’il ne faut reconstruire le même modèle économique qui nous a mené à cet impasse, mais il faut plutôt inventer un nouveau model économique. Je dirai surtout qu’une mondialisation
qui ne doit pas être basée sur la compétition, mais sur la coopération.
Avez-vous un message à délivrer à l’Afrique ?
L’Afrique doit bien comprendre qu’elle a besoin du monde extérieur, mais que le monde extérieur a aussi besoin de l’Afrique. Donc, l’Afrique doit savoir qu’elle peut aussi imposer un certain nombre de règles
avec amitié mais fermeté, parce qu’il y a beaucoup de pays qui ne peuvent pas se passer d’elle.
De façon globale, comment avez-vous trouvé l’Afrique centrale, et vous avez visité un certain nombre de
parcs, dans quel état les laissez-vous ?
L’Afrique a un grand patrimoine naturel qui, d’après moi, est le plus grand potentiel économique qui soit durable. C’est une richesse que chacun n’a pas forcément pris la mesure, elle n’est pas simplement philosophique, mais économique. Il y a un potentiel de développement de l’écotourisme, et ce qui est important c’est d’avoir un plan de gestion large sur la manière dont on peut utiliser les ressources. Je pense que c’est cette planification ou cette vision très claire d’un plan d’affectation des terres qui manque en Afrique. Il y a des terres qui doivent être dévolues à développer un certain nombre d’économies, d’autres qui doivent être gelées pour protéger la biodiversité et d’autres encore pour mixer les activités. Donc, il faut avoir cette vision d’ensemble et ne pas avoir une approche sectorielle.
Interview réalisée par Raoul SIEMENI