Pour le docteur Ousmane Faye, de l’Institut Pasteur de Dakar, la sensibilisation des communautés doit être « la clé de la lutte » contre le coronavirus.
« L’Afrique doit se préparer au pire » s’agissant de l’épidémie due au coronavirus. C’est le message d’alarme lancé il y a une semaine par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Même si, dans les chiffres, le continent demeure relativement épargné avec 4 719 cas positifs déclarés et 150 décès recensés lundi 30 mars, de nombreux spécialistes s’inquiètent d’un désastre potentiel dans un environnement manquant sérieusement des capacités médicales pour faire face à un afflux de malades.
Le docteur Ousmane Faye, responsable du département de virologie à l’Institut Pasteur de Dakar, est en première ligne dans le combat contre le Covid 19. Au Sénégal, où 142 personnes ont été infectées au lundi 30 mars, mais où aucun décès n’est encore à déplorer, sa structure est chargée du diagnostic des cas suspects et de la recherche autour du séquençage du virus. Mobilisé précédemment dans la lutte contre Ebola en Guinée et en République démocratique du Congo (RDC), il estime que la communication auprès des communautés sera la clé de la lutte contre le coronavirus.
Partagez-vous la même inquiétude que l’OMS ?
Ousmane Faye Que l’on soit en Europe, en Chine, aux Etats-Unis ou en Afrique, personne n’est à l’abri du coronavirus. Compte tenu des ressources limitées du continent, la gestion peut être compliquée et les hôpitaux rapidement débordés. C’est pour cela qu’il faut miser sur la prévention, l’information des populations. Il faut demander aux pays africains de mieux se préparer. En respectant les consignes de limitation des déplacements, des regroupements et en sophistiquant le dispositif de surveillance pour prendre en charge au plus vite les premiers cas et les extraire de leur communauté, la propagation du virus serait endiguée. Sans cela, il faut reconnaître que le virus risque de faire très mal en Afrique.
Il existe aujourd’hui une quarantaine de laboratoires sur le continent en mesure d’effectuer des tests. Ne risque-t-on pas d’avoir à faire face à un tueur silencieux faute de détection ?
Les capacités étaient limitées lorsqu’il n’y avait que deux laboratoires ayant les prérogatives pour effectuer les tests, mais, aujourd’hui la plupart des pays africains se sont dotés au moins de kits de détection. Cependant, faire le test est une chose, avoir les réactifs et consommables pour les effectuer en est une autre. Une bonne partie de ceux-ci ne viennent pas de pays africains et il existe aujourd’hui une tension internationale sur ces produits. Il est nécessaire de travailler là-dessus et il faudrait qu’entre Africains, nous puissions nous appuyer les uns les autres.
Quelles sont aujourd’hui les capacités médicales du continent pour faire face à cette épidémie ?
Tout dépendra de l’organisation. Au Sénégal, par exemple, nous tentons d’augmenter nos capacités en fonction des cas, mais nous restons limités. Nous espérons ne pas avoir un grand nombre de cas trop graves qui viendront saturer nos capacités en matière de réanimation. C’est un gros souci. Dans le contexte actuel, il faut peut-être prendre les cas simples et les mettre en quarantaine. Cela peut être un élément déterminant pour lutter contre l’épidémie.
Etes-vous favorable aux mesures de restriction des déplacements et des regroupements prises notamment au Sénégal, en Afrique du Sud ou en Côte d’Ivoire ?
C’est utile pour limiter les transmissions. Nous savons que ce virus se transmet par voie respiratoire, qu’il n’a pas démarré chez nous et qu’il est arrivé par avion. Aujourd’hui le mal est installé, nous devons donc limiter les déplacements et informer les gens pour qu’ils prennent les mesures d’hygiène appropriées.
Les problèmes ne changent pas vraiment en fonction des pays. En France, des gens ne sont plus pris en charge, il y a de l’auto-isolement de patients confirmés. Ce n’est pas encore le cas au Sénégal mais, même si nous ne le souhaitons pas, il va falloir envisager d’autres mesures pour limiter la propagation. Des pays européens ont pris des mesures bien plus drastiques que le nôtre, mais nous sommes susceptibles d’évoluer en fonction de l’épidémie.
Sentez-vous une prise de conscience populaire dans votre pays ?
A écouter la radio, à regarder la télévision, je crois qu’il y a une prise de conscience. Mais comme en toute chose, il y a toujours des récalcitrants. Il va falloir continuer de sensibiliser, utiliser des psychologues en mesure de nous dire quels sont les canaux de communication les plus appropriés pour atteindre le maximum de personnes. La sensibilisation est la clé de cette lutte.
Le confinement est-il réalisable alors que la survie d’une large partie de la population dépend de son travail quotidien ?
C’est une réalité qui peut s’avérer une limite. Il est difficile de demander à quelqu’un qui doit travailler pour se nourrir de ne pas sortir. Il y a un accompagnement qui doit donc être fait par les autorités politiques des pays pour que soit supportée cette restriction.
La jeunesse du continent, où 60 % de la population a moins de 25 ans, peut-elle être un atout ?
On a vu dans les autres pays que les personnes âgées, mais aussi les personnes qui ont une comorbidité importante, sont les plus à risque. En Afrique, malgré la pyramide des âges, la comorbidité existe aussi. Sur cette question de l’âge, on peut émettre des hypothèses, mais il ne faut pas se reposer sur cette idée que nous sommes préservés par la jeunesse de notre population. Il faut éviter ce type de facilité et se préparer au pire en prenant toutes les mesures nécessaires. Je redis que la prévention est un élément crucial tout comme le respect des mesures édictées.
Quels enseignements peut-on tirer de la lutte contre Ebola et appliquer à l’épidémie actuelle ?
L’enseignement que l’on a tiré d’Ebola est que cette épidémie n’était pas uniquement médicale. Il y a tout un volet socio-anthropologique et de communication. La riposte doit être communautaire. Le monde médical donne des directives, mais c’est la communauté qui est au centre de la lutte. Au début de l’épidémie d’Ebola, la réponse reposait sur le tout-médical et nous nous sommes rendu compte que cela ne marchait pas. Il est toujours extrêmement important de savoir à quelle communauté on s’adresse et comment nous lui adressons le message. C’est le premier enseignement de la lutte contre Ebola à laquelle j’ai participé.