Sécheresses, inondations, cyclones : le continent le moins polluant de la planète subit de plein fouet les conséquences du réchauffement.
A Dakar, après les inondations qui ont touché le Sénégal, le 7 septembre. SEYLLOU / AFP
Le continent qui contribue le moins à la pollution mondiale pourrait être celui où le dérèglement climatique bouleverse le plus de vies. Selon un rapport d’une quinzaine d’organisations, coordonné par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et publié lundi 26 octobre, l’augmentation des températures, l’élévation du niveau de la mer, la modification du régime des précipitations ou encore la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes font peser de graves menaces sur la santé, la sécurité alimentaire et le développement socio-économique en Afrique.
« Le changement climatique a un impact croissant sur le continent africain. Il frappe plus durement les plus vulnérables et accroît l’insécurité alimentaire, les déplacements de population et les pressions exercées sur les ressources en eau, indique Petteri Taalas, le secrétaire général de l’OMM, dans un communiqué. Ces derniers mois, nous avons assisté à des inondations dévastatrices et à une invasion de criquets pèlerins. A présent, la perspective inquiétante d’une sécheresse causée par un épisode La Niña [un refroidissement d’une partie de l’océan Pacifique équatorial] se dessine. »
Ce rapport sur l’état du climat en Afrique, une première, se concentre sur les données de 2019, l’une des trois années les plus chaudes jamais enregistrées sur le continent – la deuxième année la plus chaude à l’échelle mondiale. La température augmente désormais de 0,4 °C par décennie en Afrique, soit davantage que le taux de réchauffement global de 0,2 °C à 0,25 °C par décennie. Il en découle une multiplication des vagues de chaleur et des journées caniculaires.
« D’un extrême à l’autre »
Cette hausse du thermomètre provoque d’autres conséquences en cascade. D’abord, une modification du régime des pluies : les précipitations diminuent en Afrique du Nord et en Afrique australe, mais augmentent dans la bande sahélienne, du Sénégal au Soudan. Sous l’effet du réchauffement, le continent est aussi soumis à une élévation du niveau de la mer, de 5 mm par an, notamment dans le sud-ouest de l’océan Indien, de Madagascar à Maurice, soit davantage que l’augmentation moyenne à l’échelle mondiale – entre 3 et 4 mm par an.
Cette hausse des océans exacerbe les inondations sur les côtes, où s’étendent de nombreuses mégapoles, et aggrave les dégâts provoqués par les cyclones tropicaux. La saison cyclonique 2018-2019 a été la plus active jamais enregistrée dans le bassin du sud-ouest de l’océan Indien, avec quinze ouragans et tempêtes selon Météo France, mais aussi l’une des plus meurtrières.
Idai, qui a frappé le Mozambique, le Zimbabwe et le Malawi en mars 2019, a été l’un des cyclones plus destructeurs jamais enregistrés dans l’hémisphère Sud, faisant près de 1 200 victimes et des centaines de milliers de déplacés. Il a été suivi de près par Kenneth, qui a tué 53 personnes en avril au Mozambique et aux Comores.
En 2019, l’Afrique australe a aussi souffert d’une vaste sécheresse tandis que, à l’inverse, la Corne de l’Afrique subissait des inondations et des glissements de terrain dus à de fortes précipitations. De mai à octobre 2019, des inondations ont aussi été enregistrées au Sahel.
« Certains pays, notamment en Afrique de l’Est, ont basculé rapidement d’un extrême à l’autre, de la sécheresse aux inondations, et ils n’étaient pas préparés pour y faire face », indique Omar Baddour, le coordinateur du rapport, également coordinateur du système mondial de suivi du climat de l’OMM. Une situation contrastée qui se poursuit en 2020, alors que des pluies diluviennes ont ravagé la bande sahélienne, tandis que le Maroc et l’Afrique australe sont touchés par des sécheresses.
Baisses de rendements
Ces bouleversements du climat menacent la survie des Africains, prévient le rapport. D’abord parce que la sécheresse affecte la production agricole, et donc la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des habitants, sur un continent où l’agriculture emploie 60 % de la population. Les cultures souffrent du stress thermique et hydrique, mais aussi de l’augmentation des dégâts causés par les ravageurs, les maladies et les inondations.
Dans le scénario de réchauffement le plus pessimiste du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les principales cultures céréalières d’Afrique verraient leur rendement moyen diminuer de 13 % en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale d’ici à 2050, de 11 % en Afrique du Nord et de 8 % en Afrique de l’Est et en Afrique australe. Le riz et le blé devraient être les plus malmenés, avec une perte de rendement estimée à respectivement 12 % et 21 %, tandis que le millet et le sorgho résisteraient mieux (respectivement − 5 % et − 8 %).
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le nombre de personnes sous-alimentées a augmenté de 46 % depuis 2012 dans les pays d’Afrique subsaharienne exposés à la sécheresse. La sécurité alimentaire s’est particulièrement dégradée l’an dernier en Ethiopie, en Somalie, au Kenya et en Ouganda.
De quoi augmenter les déplacements de population. Selon les données de l’Organisation internationale pour les migrations et du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 60 % de tous les déplacements internes dans la région de l’Est et de la Corne de l’Afrique en 2019 étaient dus à des catastrophes provoquées par le climat.
La hausse des températures et la modification des régimes de précipitations ont également un impact significatif sur la santé des populations africaines. L’augmentation des températures et des précipitations favorise la transmission de maladies à vecteur comme la dengue, le paludisme et la fièvre jaune. L’Organisation mondiale de la santé estime que, en 2017, 93 % des décès dus au paludisme dans le monde sont survenus en Afrique.
Energies renouvelables
Enfin, l’économie des pays africains est déjà, et sera encore plus à l’avenir, affectée par la crise climatique. Le Centre africain pour la politique en matière de climat estime que pour une augmentation de 1 °C à 4 °C des températures mondiales par rapport aux niveaux préindustriels, le PIB global du continent diminuerait de 2 % à 12 % par an. L’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Est seraient davantage pénalisées que l’Afrique australe et l’Afrique du Nord.
Le continent africain, qui abrite 17 % de la population mondiale, n’est à l’origine que d’environ 3,5 % des émissions de CO2. Même si l’Afrique ne contribue que très peu à la crise climatique, le rapport plaide pour le développement des énergies renouvelables, pour réduire la pauvreté et diminuer les risques liés au climat.
« Les pays africains ne peuvent plus justifier la nécessité absolue de recourir aux énergies fossiles pour assurer leur développement, juge Omar Baddour. Le recours aux renouvelables pourrait multiplier la productivité par trois ou quatre dans certains secteurs, comme dans l’agriculture. »