De très nombreuses espèces pourraient disparaître de la Terre, préviennent une quarantaine d’experts
Ils sont plus de quarante experts provenant des quatre coins de la planète, tous des sommités dans le domaine de la conservation des espèces menacées. Jeudi, ils ont lancé un cri du coeur. Si rien n’est fait dès maintenant, de « très nombreuses »espèces de grands mammifères pourraient carrément disparaître de la surface de la Terre, préviennent-ils.
La plupart des grands mammifères « font aujourd’hui face à des réductions dramatiques de leur distribution et abondance ». Pas moins de 59 % des plus grands carnivores et 60 % des plus grands herbivores du monde sont ainsi considérés comme menacés d’extinction, sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature.
Dans un texte d’opinion paru dans la revue scientifique BioScience de l’Université Oxford, le groupe d’expert cherche à éviter « l’impensable » : la disparition des mammifères les plus grands de la planète, de l’éléphant au gorille en passant par le bison, mais également des espèces moins spectaculaires ou connues, telles que l’âne sauvage d’Afrique, le sanglier des Visayas ou le banteng, un boeuf sauvage qui vit en Asie du Sud-Est.
Ils signent, du même coup, une « Déclaration pour sauver la grande faune terrestre du monde », un engagement solennel à agir.
Un rôle essentiel
La situation est particulièrement source de préoccupation en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est, deux régions du monde qui hébergent la plus grande diversité de la « mégafaune » existante.
« Malheureusement, ces animaux sont en voie de disparition alors que la science découvre leurs rôles écologiques essentiels », soulignent-ils.
De nombreuses espèces de grands mammifères fonctionnent comme des « espèces clefs », générant de forts « effets en cascade » dans les écosystèmes dans lesquels elles se trouvent. Ces animaux sont également utiles aux habitants de pays en voie de développement, dans l’agriculture et le tourisme, notamment.
« La disparition des éléphants dans les forêts de l’Afrique centrale est de plus en plus dommageable pour le fonctionnement des écosystèmes, expose l’experte en conservation Fiona Maisels, coauteure de la lettre oeuvrant à la Wildlife Conservation Society (WCS), une ONG américaine. Elles sont vitales pour la santé des forêts et pour les espèces qui y vivent. »
Parce que les régions ayant la plus grande diversité de grands animaux n’ont souvent pas les ressources nécessaires pour implémenter des stratégies de conservation efficace, « le fardeau incombe aux pays développés », selon l’équipe scientifique, pressant les gouvernements occidentaux d’agir le plus rapidement possible.
Instigateur de cet appel à l’aide de la communauté scientifique, le professeur William J. Ripple, de l’Université de l’État de l’Oregon s’est résolu à écrire ce texte — qui a été traduit dans six langues, dont le français, afin d’en faciliter sa diffusion à vaste échelle —, car il ne voyait plus d’autres options pour fournir aux gouvernements« l’électrochoc » dont ils ont besoin pour agir. Il souhaite aussi que le grand public, les principales organisations de conservation et les grands philanthropes en fassent davantage.
« Pour une raison qui m’échappe, les gens ne sont pas au courant de la gravité de la situation. C’est comme si, parce que c’est loin des yeux, c’est également loin du coeur. Mais on ne peut absolument pas attendre », confie-t-il au Devoir.
« Travailler avec ces collègues afin d’expliquer clairement toute l’urgence de cet enjeu et pour élaborer cette déclaration était l’étape la plus logique afin de conscientiser la société et la pousser à l’action », juge pour sa part le professeur Rodolfo Dirzo, rattaché à l’Université Stanford.
Des causes connues
La chasse, qu’elle soit faite pour la viande, aux fins de la médecine traditionnelle ou encore pour faire de ces espèces rares des pièces décoratives constitue probablement la plus grande menace pour de nombreuses espèces, souligne pour sa part Elizabeth Bennett, vice-présidente à la conservation des espèces de la WCS. Seul un engagement« massif » de la communauté internationale pourrait mettre un frein à la destruction effrénée de tant de populations animales, croit-elle.
Autre facteur : la destruction de l’habitat, d’autant plus que ces animaux de grande taille nécessitent beaucoup d’espace. Avec la perte simultanée des habitats des espèces sauvages et l’expansion des populations humaines et de l’agriculture, il est inévitable que les interactions négatives entre ces espèces et les êtres humains se multiplient, ajoute Varun R. Goswami, qui oeuvre pour la WCS en Inde.
La « Déclaration pour sauver la grande faune terrestre du monde » signée par la quarantaine d’experts comporte 13 articles. Ses signataires sollicitent notamment un engagement et un cadre mondial pour la conservation de la mégafaune. La communauté internationale doit prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’extinction de masse de la mégafaune du monde et d’autres espèces, insistent-ils.
ledevoir.com