Afrique environnement plus a rencontré Monsieur Abou BAMBA, Secrétaire exécutif de la Convention d’Abidjan sur l’environnement marin et côtier, qui nous parle du fonctionnement de cette organisation de sa création en 1984 jusqu’à nos jours.
Afrique environnement plus : Cela fait près de 30 ans que la convention d’Abidjan a été lancée. Quelle est la genèse de ce programme spécialisé auprès du PNUE et où en est-on avec le fonctionnement de cette institution ?
Abou BAMBA : 2014 marque les 30 ans de la Convention d’Abidjan ( Convention pour la coopération dans le domaine de la conservation, du développement et la mise en valeur de l’environnement marin côtier de la côte atlantique de l’Afrique de l’ouest, centrale et australe) qui a été signée en 1981 et entrée en vigueur en 1984. L’idée était de voir 20 ans après les indépendances, dans quelle mesure les Etats africains pouvaient s’organiser pour gérer entre eux, les problèmes transfrontaliers liés à la gestion de l’environnement marin et côtier pour les pays côtiers de la façade atlantique du continent africain. A l’origine, c’était surtout un traité multilatéral pour lutter contre la pollution et qui venait justement avec des dispositions contraignantes dans l’ensemble de ses articles. Dans ce traité, on demandait aux Etats de façon explicite de prévenir, de s’abstenir et d’éviter d’avoir certaines attitudes notamment au niveau de la pollution qui pourraient influencer de façon négative l’environnement marin et côtier des pays riverains. Donc, l’idée de base était de créer un cadre de collaboration entre les pays pour lutter contre la pollution. Mais ce n’est pas tout, car à l’époque, les gens se disaient qu’il fallait trouver un équilibre entre les questions de conservation et de développement. Par la suite, on a ajouté des protocoles additionnels afin que la Convention ne s’occupe pas uniquement des problèmes de conservation et de lutte contre la pollution, mais aussi des problèmes de développement. Le mobile était de s’assurer qu’au niveau des écosystèmes, les fonctions et les services devaient être rendus tout en permettant aux Etats de continuer à se développer et de profiter des services et des bénéfices que ces écosystèmes offrent. C’est ainsi que de 1981 jusqu’en 1984, nous avons essayé d’avoir un instrument le plus complet possible sur la base des 31 articles, afin d’éviter par la suite d’ouvrir des renégociations. Ensuite, plusieurs protocoles ont été rajoutés pour préciser davantage les buts et objectifs de cette convention, notamment le protocole d’urgence à cause du boom pétrolier des années 1970 et 1980 dans le golf de Guinée. Ainsi, il fallait avoir un protocole d’urgence en cas de déversement accidentel d’hydrocarbure. Retenez que ce protocole était beaucoup plus précis que les textes de base de la Convention. Et par la suite, on s’est aussi rendu compte que la pollution ne venait pas seulement de la zone offshore, mais aussi une pollution d’origine tellurique dans l’ensemble des pays, d’où, il y a eu un second protocole pour affiner et préciser encore les dispositions qui devaient être prises par les Etats dans le cadre de la mise en œuvre de cette convention. A ce jour, la Convention compte 31 articles plus deux protocoles dont l’un sur les mesures à prendre au niveau des Etats en cas de déversement accidentel d’hydrocarbure et l’autre sur les mesures à prendre dans le cadre des pollutions d’origine tellurique.
Quel état faites-vous de la prise en compte par les Etats membres dans la mise en œuvre de la feuille de route définie par cette Convention ?
Aujourd’hui, si l’on se réfère à l’état de l’environnement marin et côtier des 22 pays membres de la Convention d’Abidjan, force est de constater qu’à l’exception de l’Afrique du Sud et de la Namibie, la situation n’est pas reluisante. On observe des phénomènes de pollution assez importants sur les côtes africaines : les pollutions dues aux hydrocarbures, à l’exploitation gazière, mais aussi des pollutions d’origine tellurique. On sait que dans beaucoup de nos Etats, les eaux usées qui viennent des ménages, des hôpitaux, des industries sont déversées directement dans les océans. Naturellement, c’est un premier point qui nous fait penser qu’il y a encore beaucoup à faire tant au niveau de la Convention qu’au niveau des Etats. Le deuxième élément en termes d’indicateurs pour ce qui est de la mise en œuvre de la Convention, est le problème d’érosion côtière, sur ce, la Convention en son article 15, demande aux Etats de prendre des mesures pour lutter contre ce phénomène du retrait du trait des côtes. Malheureusement, force est de constater qu’aujourd’hui sur le terrain la réalité est tout autre : nous avons des pays où le trait des côtes recule de plus de 10 mètres chaque année et certains villages, vestiges culturels, cimetières et autres sont menacés dans leur intégrité. Un autre élément pour lequel la Convention a pris des dispositions, c’est le problème relatif à la gouvernance des océans. Dans les textes de base de la Convention, on demande aux Etats de mettre en place des institutions ou de renforcer celles existantes afin de gérer de façon concertée avec les autres acteurs la problématique de la gestion, de la conservation, du développement et de la mise en valeur des écosystèmes marins et côtiers. De nos jours, le constat fait sur le terrain démontre que, à l’exception du Sénégal qui est en train de développer une voie sur le littoral et du Gabon où le Président Ali Bongo a lancé son initiative « Gabon bleu », la plupart des pays membres de la Convention, la question de la gouvernance des océans est assez segmentarisée. En effet, nous sommes dans une situation où au niveau des institutions et de la gouvernance, il y a des efforts à fournir. Cependant, le tableau n’est pas aussi noir que cela, nous avons certains motifs de satisfaction, comme la prise de conscience au niveau des populations, des ONG et des communautés qui sont affectées directement par ces phénomènes négatifs. Les gens sont conscients que la situation ne peut pas perdurer et que nous devons essayer avec les organisations de développement et les gouvernements en place, de prendre des mesures pour régler certains de ces problèmes, et c’est ce qui est en train d’être fait en ce moment à travers des projets comme le PRCM, le RAPAC, le RAMPAO, pour ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest. Donc, il y a quelques initiatives de ce genre qui viennent à travers la Convention d’Abidjan pour régler les problèmes que nous avons constatés et que nous venons de lister. La Convention d’Abidjan s’est lancée dans un grand projet avec plusieurs pays membres afin d’établir la base à partir de laquelle la situation devient un peu compliquée, c’est-à-dire élaborer les rapports sur l’état de l’environnement marin et côtier dans plusieurs pays concernés par la Convention.
L’une des choses est d’établir les lois, mais nous savons que dans nos pays africains, les questions de pollution, d’érosion posent souvent, dans le budget de l’Etat, d’énormes difficultés dans la mesure où les financements affectés dans ces domaines demeurent peu disponibles. Comment la Convention accompagne-t-elle les Etats afin que les questions inhérentes à la pollution deviennent une priorité ?
Il y a plusieurs façons de gérer cette problématique. Notre rôle est de venir en appui aux gouvernements en leur fournissant l’assistance technique. C’est ainsi que, pour certains pays, nous avons lancé un projet de révision des textes de loi afin de les rendre plus contraignants non seulement dans les textes mais aussi dans leur application. Nous avons la Côte d’Ivoire, qui vient de mettre en place une police environnementale pour l’application de loi et nous sommes en train de les conseiller pour voir comment on peut emmener devant les tribunaux, des personnes physiques et morales qui auraient commis des infractions vis-à-vis de l’environnement marin et côtier en déversant, par exemple, sans traiter des produits chimiques directement à la mer. C’est un projet pilote que nous avons l’intention d’étendre dans l’ensemble des pays signataires de la Convention d’Abidjan en partenariat avec d’autres organisations, qui militent pour l’application du droit de l’environnement sinon pour la judiciarisation du droit de l’environnement. C’est l’un de nos crédos pour les années à venir afin que les gens commencent à appliquer et à respecter la loi.
Parlant de la communication, nous savons que la convention est peu connue de bon nombre d’acteurs dans les différents pays et les secteurs indexés. Comment surmontez-vous ce déficit d’informations qui peut contribuer à favoriser les actions négatives en faveur de la lutte que vous menez ?
Nous sommes conscients de ce déficit communicationnel. Nous avons prévu une série de mesures, notamment le recrutement de quelques personnes pour s’occuper de cette problématique au niveau du secrétariat, mais surtout nous appuyer au niveau des Etats, sur ce qui se passe au niveau national. C’est ainsi que nous sommes en train de mettre en place des comités nationaux de mise en œuvre de la convention qui impliquent naturellement en leur sein des spécialistes de la communication ou des journalistes. Une autre démarche que nous avons suivie pour résoudre ce problème de perception ou de visibilité de la Convention au niveau des 22 pays, c’est ce séminaire que nous venons d’organiser à l’intention des journalistes et spécialistes de la communication dans le domaine de l’environnement marin et côtier en particulier. L’idée à l’issue de ce séminaire est de mettre en place une plate-forme, un réseau ou un sous-réseau de journalistes, des communicateurs spécialisés ou ceux intéressés par la problématique de l’environnement marin et côtier. De cette façon, nous ferions d’une pierre deux coups, tout en faisant connaitre la convention d’Abidjan en tant que cadre multilatéral des 22 pays traitant de la problématique de l’environnement marin et côtier. On permet aussi, par la même occasion aux journalistes de se libérer, d’écrire des articles, de préparer des programmes radios et /ou télévisés sur les problématiques au niveau de l’environnement marin et côtier qui concernent leurs pays ou leurs zones sous régionales. Donc, nous avons bon espoir que l’atelier d’Abidjan auquel vous participez, est la première étape d’un processus assez long qui viserait à résoudre le problème de perception ou de non reconnaissance de la Convention d’Abidjan au niveau des Etats.
Comment la Convention d’Abidjan collabore-t-elle avec les ONG, quand on sait que non seulement toutes les initiatives sont beaucoup plus tournées vers les Etats, mais aussi qu’il existe une vraie fracture entre les ONG et les pouvoirs publics ?
Nous avons plusieurs façons de traiter ce problème. Primo, de collaborer davantage avec les ONG car nous sommes ici à Abidjan et nous ne pouvons pas être présents dans les 22 pays. C’est à travers les protocoles d’accord que nous signons avec les ONG présentes sur le terrain comme ce fut le cas de Bird Line International, l’UICN et d’autres ONG. Secundo, c’est lors de la prochaine conférence des parties et je pense que l’un des pays peut être le Sénégal qui va proposer un projet de décisions pour que le secrétariat de la Convention d’Abidjan rentre dans un partenariat assez étoffé avec l’ensemble des ONG, des organisations de la société civile qui sont présentes sur le terrain et qui réalisent des projets. C’est ainsi qu’il y aura des transferts de connaissances et de financement pour que le travail soit fait directement sur le terrain avec des ONG. Donc, ce partenariat est un grand projet en chantier qui est en train d’être mis en œuvre, et en ce moment, nous avons déjà signé des protocoles d’accord que nous allons élargir à d’autres organisations et cela fera l’objet d’un projet de décisions lors de la conférence des parties qui se tiendra du 17 au 21 mars 2014 à Captown en Afrique du Sud.
Parmi les recommandations de la 10e Cop de la Convention d’Abidjan tenue à Pointe-Noire, au Congo en 2012, figurait celle liée au problème de financement et à la contribution des Etats pour assurer le fonctionnement de la Convention. Quel état faites-vous des recommandations qui ont été faites notamment en direction des entreprises qui pouvaient contribuer au fonctionnement de ladite convention à travers une taxe ?
Le problème du financement du fonds d’affectation spécial de la Convention d’Abidjan a connu quelques résolutions, notamment plusieurs pays se sont acquittés de leurs cotisations, comme la République Fédérale du Nigéria, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Libéria, la Sierra Léone, l’Afrique du Sud, le Cameroun, la République du Congo. On peut dire qu’il y a vraiment eu un engouement à faire appliquer ou à faire respecter cette décision de la Cop. Cependant, cela ne règle pas tous les problèmes auxquels est confronté le secrétaire de la convention d’Abidjan. Il y a certains Etats, pour ne pas dire presque la moitié, ne sont pas encore en règle dans leurs cotisations. Mais, nous continuons avec la persévérance et la diplomatie à essayer de leur faire comprendre qu’ils doivent les payer, afin de nous permettre de leur apporter l’assistance technique, d’organiser des séminaires de formation ou être présents sur le terrain avec des projets de démonstration. Donc, c’est un problème qui est en voie d’être résolu et nous comptons beaucoup sur la bonne volonté des Etats pour le faire. L’autre partie, c’est qu’en plus des contributions des Etats, nous avons le devoir d’aller solliciter les financements auprès des bailleurs de fonds aussi bien publics que du secteur privé, etc. La République du Congo avait demandé qu’on puisse étudier la faisabilité d’une taxe environnementale pour toutes industries extractives, afin que les revenus de ces taxes puissent servir à restaurer et à réhabiliter les écosystèmes dégradés de ces activités extractives des mines. Le projet a connu quelques réticences de la part du secteur privé, notamment dans le domaine du pétrole et du gaz. Ces derniers estiment qu’ils payent déjà des taxes aux gouvernements africains et que dans ces taxes, ce n’est pas à eux mais aux gouvernements de décider ce qui sera prélevé pour faire la restauration et la réhabilitation des sites dégradés. Nous n’abandonnons pas pour autant et nous allons voir dans quelle mesure cette taxe pourra être collectée en dehors du circuit normal de la fiscalité régie à l’industrie minière.
Vous vous préparez pour la prochaine Cop 11 de la Convention d’Abidjan en 2014, quels sont les éléments de réflexion qui pourraient agrémenter cette rencontre ?
La Cop 11 qui se tiendra en mars 2014 en Afrique du Sud, sera différente des éditions précédentes de la Cop, en ce sens que nous aurons une thématique assez intéressante qui concerne les pays africains à savoir : « favoriser la croissance bleue en Afrique », voir comment la gestion durable des ressources côtières et océaniques peut aider au développement des pays africains côtiers. C’est l’un des premiers éléments et la Cop sera ouverte par un segment technique avec des experts venant du monde entier, pour faire des propositions sur l’utilisation rationnelle des ressources marines et côtières, pour le développement socio-économique de l’Afrique. Car, nous trouvons qu’il est inadmissible que dans les pays côtiers, les communautés qui vivent à proximité de la côte, qui ont accès au sable, au tourisme, au stock halieutique, se trouvent aujourd’hui dans une situation de précarité. Pour ce qui est de la Cop elle-même, nous aurons pour la première fois, un segment dédié aux bailleurs de fonds, pour le programme d’activités de la convention et de ses partenaires. Ce segment sera proposé aux bailleurs de fonds pour qu’ils puissent prendre des engagements afin de financer ces activités. C’est une première dans l’histoire de la Convention. Ensuite, il faut regarder aussi la nature des projets de décision qui seront soumis aux Etats. Il y a un projet de décision qui est particulièrement important, c’est celui sur la gouvernance des océans, car on constate malheureusement, qu’en Afrique, bon nombre d’institutions s’occupent de façon dispersée de l’environnement marin et côtier, ce qui constitue d’ailleurs un frein, un obstacle pour la mise en œuvre de la Convention. Les ports au niveau des infrastructures économiques, la pêche au niveau des ressources halieutiques, l’agriculture qui se trouve au niveau de l’agriculture, l’environnement qui est chargé de faire le pont entre tous ces éléments, se retrouve fragilisé de son poids institutionnel et financier relativement faible. Donc, il y a toute une série de projets de décisions, des thématiques au niveau de la gouvernance qui vont être discutés et aussi tout ce qui concerne les aires géographiques au-delà des juridictions nationales. L’Afrique assiste impuissamment à tout cela, alors que tous les pays du monde sont en train d’étendre leur plateau continental et même asseoir une souveraineté ou un droit de jouissance des ressources au-delà de certaines limites qui ne font pas partie de la zone nationale, mais pour lequel au niveau du droit international on peut négocier la jouissance même de ces ressources. Un autre élément important est que nous allons proposer aux Etats d’approuver la création d’un comité de communication, d’éducation et de sensibilisation du public. Ce sera soit un comité ad’hoc ou un organe statutaire de la Convention qui s’occupera exclusivement de toutes les questions de communication de la convention et surtout de tous les problèmes liés à l’environnement marin et côtier. Ce comité sera créé avec des membres qui seront chargés de l’animer tout au long de l’année. Pour ce qui est du segment des bailleurs de fonds, leurs contributions viendront en ajout de la contribution des pays, car notre souhait est que les pays puissent faire face à leurs obligations en payant leurs cotisations.
Propos recueillis Raoul SIEMENI