« Il faut une grande solidarité africaine pour éviter que les déchets dangereux soient déversés »
Il peint le tableau sombre dans la lutte contre les déchets toxiques. Par ailleurs, il classifie ces déchets en trois types et relève la dangerosité de certains produits déversés sur le continent. Au cours de cet entretien avec votre magazine, il attire l’attention des autorités afin de lutter contre ce fléau très dangereux qui a fait déjà beaucoup de victimes en Afrique.
Afrique Environnement Plus : Que revêt l’importance, pour l’ONU-Environnement, de pouvoir se pencher sur des questions spécifiques, notamment celles de la pollution en Afrique ?
Ibrahim THIAW : L’Afrique est un continent riche en ressources naturelles, en peuple et en culture, mais elle n’est pas une poubelle. Il est extrêmement important dans le cadre de la Convention dite de Bamako que l’Afrique déploie ses ressources et ses capacités pour se protéger contre les déversements illicites et illégaux des déchets dangereux. Les ressources naturelles africaines sont connues : les cours d’eau, les écosystèmes, mais il faut aussi protéger la santé des populations africaines.
Malheureusement, beaucoup des pays africains manquent des capacités pour assurer la surveillance de leurs territoires contre l’importation illégale des déchets par des hommes et des femmes sans scrupules. Nous avons connu trop d’incidents et beaucoup d’africains ont été affectés par ces déchets. Donc, la convention de Bamako a été négociée, signée et ratifiée et est rentrée en vigueur pour protéger les populations africaines, les écosystèmes et l’environnement africain contre ces pratiques malveillantes.
L’Afrique connait des sérieux problèmes en matière de gestion des déchets de façon globale. Comment pensez-vous, face à cette difficulté, pouvoir assainir cet environnement, et en même temps faire face aux produits toxiques qui proviennent des pays occidentaux ?
Il y a deux types des déchets qu’il faut distinguer : d’abord, ceux produits localement y compris les déchets domestiques, industriels, les déchets liés aux hôpitaux et autres qu’il faut gérer. Ça c’est le rôle des municipalités, des gouvernants au niveau national. Grâce aux nouvelles technologies, beaucoup des pays africains valorisent ces déchets. Et d’ailleurs, on ne devrait même plus les appeler déchets parce que ce sont des ressources. Il faut réfléchir positivement et voir comment davantage tirer des ressources et transformer les défis en opportunités.
Ensuite, il y a ce qu’on appelle les déchets toxiques qui sont souvent des produits chimiques également importés par les pays africains ou produits localement et qui sont extrêmement utiles dans l’agriculture, pour l’assainissement, pour améliorer la qualité de l’eau. A noter qu’il y a 130.000 produits chimiques à travers le monde et certains rendent d’énormes services au peuple.
Mais, il y a aussi des produits chimiques dangereux qui, mal gérés, reviennent sur nos assiettes et nous rendent malade, polluent nos écosystèmes, nos rivières, nos zones côtières et nous consommons parfois du poisson ou des légumes qui sont contaminés ; la nourriture en général. Il est important que nous nous protégions contre ces produits dangereux.
Le troisième type qui est vraiment l’objet de la Convention, c’est l’importation inégale des produits dangereux venus d’autres régions du monde, en particulier des régions industrialisées qui sont déversés de manière illicite sur le continent africain. Nous avons connu beaucoup d’exemples malheureux, des milliers de personnes ont été affectées et certaines restent handicapées à vie simplement pour avoir respiré l’air impropre dû à des produits chimiques ou dangereux déversés ; soit pour avoir consommé de l’eau, de la nourriture pensant qu’elles sont dans la même condition qu’avant. A l’exemple du Nigéria, où des industriels ont importé des produits et au lieu de les traiter par des services spécialisés, ils sont allés les jeter dans les villages en faisant croire que ce n’était pas des produits dangereux.
Donc, ces trois types des déchets sont là. La Convention de Bamako sert à créer une barrière africaine contre cette importation illicite des produits. Chaque pays est souverain et peut, après consentement, décider d’importer les produits et de les traiter. Mais, il n’est pas acceptable d’utiliser l’ignorance et le manque de capacité des pays africains pour aller jeter des produits dangereux qui sont par ailleurs interdits dans leur pays d’origine. Il n’est pas également normal que ces pays d’origine souvent ferment les yeux pour que leurs industriels peu scrupuleux utilisent l’Afrique comme une déchèterie. Ce n’est pas acceptable et la convention de Bamako est là pour protéger les populations africaines et pour protéger l’environnement africain contre ces produits dangereux.
Quand on rejette un produit dangereux dans la nature, cette dernière peut prendre des dizaines d’années à assimiler ces produits. Les gens qui pratiquent l’agriculture, qui récoltent des tubercules, des fruits ou qui boivent de l’eau peuvent être contaminés sur des générations. Cette contamination peut jouer sur les gênes de ces populations et les enfants sont souvent nés déjà chargés des toxines. La Convention de Bamako est comme un rempart contre ces pratiques. Vingt cinq Etats ont signé et ratifié la Convention, dix-huit autres ont signé et sont en train de la ratifier, donc, c’est une convention qui est déjà effective.
Lorsqu’on dit que la Convention de Bamako semble lointaine et compliquée, cela revient plutôt à deux choses : protéger les populations africaines et protéger l’environnement.
Vous avez lancé un appel à tous les pays membres à la ratifier d’ici le 25 mai prochain, mais au-delà de cette ratification, le problème qui se pose est celui du financement ou de l’implémentation des politiques et décisions adoptées. Quelles sont les pistes de solutions ?
Vous avez raison ! Il faut d’abord que les pays africains mettent un minimum des ressources financières et cela demande une volonté politique. Ce serait toujours dangereux de se réfugier derrière le manque du financement parce que le manque de financement est, en fait, la manifestation du manque de volonté politique. Quand on décide d’accorder une priorité à une chose, on trouve le financement nécessaire et là on ne parle pas des millions de dollars, mais d’une politique nationale et de mettre en place un système de veille et un système d’alerte pour éviter que les déchets dangereux soient déversés par d’autres personnes. Il faut mettre en place des équipes à travers des services de contrôle frontalier, douanier, environnemental, pour qu’ensemble, ils puissent rester en alerte. Bref, il faut une grande solidarité africaine.
Raoul SIEMENI