Le chercheur américain Theodore Trefon, qui travaille pour le Musée royal d’Afrique centrale à Tervuren (Bruxelles) et pour l’ERAIFT à Kinshasa, vient de publier dans la revue African Arguments un article consacré au coronavirus et à la « culture de la consommation d’animaux sauvages en Afrique centrale ». Celle-ci, souligne-t-il, est « un défi bien connu des conservationnistes » qui cherchent à protéger la biodiversité, « mais relativement neuf pour les experts en santé publique confrontés à des zoonoses (NDLR:maladies transmises de l’animal à l’homme) connues et encore à venir ».
La pandémie de coronavirus, comme d’autres maladies liées à la consommation d’animaux sauvages par l’homme, sont des défis globaux avec des origines locales, écrit le chercheur. « En Afrique, la consommation de viande de brousse a des effets dévastateurs à la fois sur la biodiversité, les économies locales, les priorités de la conservation, le bien-être communautaire et la santé publique ». Elle est due à la croissance rapide de la population urbaine, aux cultures locales et à l’économie.
Des maladies venues des animaux
Theodore Trefon note que 75% des maladies émergentes sont des zoonoses. Ainsi le SARS est associé aux chauves-souris et aux civettes; le MERS a été transmis aux humains par des chameaux au Moyen Orient. La grippe aviaire, les salmonelloses, la maladie de la vache folle, la rage, la maladie de Lyme et la peste bubonique (transmise par les rats, elle fit environ 50 millions de morts en Europe au 14ème siècle) sont toutes des zoonoses. Le HIV-1, qui donne le sida, et Ebola, sont tous deux apparus en RDCongo et le coronavirus a été observé en premier lieu sur un marché chinois de viande fraîche vendant bon nombre d’animaux sauvages. Toutes ces zoonoses sont transmises à l’homme par contact avec des animaux vivants ou morts, ou par leurs déjections ou par des produits tirés des animaux.
L’urbanisation rapide observée dans certains pays africains, parfois au détriment de la forêt; le développement de la chasse commerciale, pour fournir en viande de brousse les marchés urbains; des systèmes de santé bas de gamme (avec parfois utilisation de seringues non stérilisées) et la mobilité croissante des populations à la recherche de travail ou pour le commerce, tout cela favorise la contagion de zoonoses.
Des cultures locales
Le chercheur souligne que, lors de la récente épidémie de fièvre Ebola en Ituri et au Nord-Kivu, on continuait à vendre de la chauve-souris au marché central de Kisangani, dans la province de la Tshopo, voisine des deux autres. Certains clients, attentifs aux avertissements de santé publique, n’en achetaient pas. D’autres, comme cet homme cité par Theodore Trefon, indiquaient ne pouvoir se permettre le luxe de craindre une maladie potentielle quand la faim menaçait. D’autres encore voient dans l’abondance d’animaux sauvages – comme cet afflux inexpliqué de chauves-souris anormalement grandes dans la ville minière de Mongbwalu, en Ituri, lors d’une pécédente poussée d’Ebola – un effet de la « divine providence » qu’il faut accueillir avec reconnaissance.
Au total, souligne Theodore Trefon, on consomme en Afrique centrale de 5 à 6 millions de tonnes de viande de brousse chaque année, soit environ la moitié de la production annuelle du Brésil en viande de bœuf. Les experts en santé publique doivent le prendre en considération, conclut le chercheur.