« ..Nous avons le pouvoir judiciaire composé des magistrats et des juges, disponibles et volontaires à faire appliquer la loi contre des infractions environnementales constatées. »
Présidant la cérémonie d’ouverture du Symposium sur le droit de l’environnement en Afrique tenu à Yaounde en février dernier, le ministre Pierre HELE , en marge de ladite cérémonie, nous a accordé une interview exclusive dans laquelle, il dresse le bilan des actions menées par son département ministériel dans la lutte contre les changements climatiques, les déchets plastiques et polluants. Mais aussi, de l’implication de la justice dans cette lutte qui, à son avis, produit des résultats escomptés.
Afrique Environnement Plus : L’effectivité et l’éducation judiciaire du droit de l’environnement en Afrique francophone a été le thème des travaux du symposium que vous avez ouvert. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle thématique juridique dans le domaine de l’environnement ?
Pierre HELE : Le champ du droit de l’environnement est majoritairement l’un de ceux où l’écart entre l’existence de la norme et la réalité de son application est le plus grand, et dont les effets, au quotidien, sont les plus ressentis et très importants dans la mesure où l’environnement, de manière générale, est un patrimoine sérieux où il faudra protéger et renforcer pour les léguer aux futures générations, mais cela demande la préservation.
Nous savons que la seule meilleure manière de protéger une action, c’est d’avoir recours au droit, qui a une force à laquelle toute personne doit se soumettre aux lois dans un pays. Ce bien précieux fait l’objet de plusieurs agressions diverses en termes de détérioration, de pollution, de dégradation, etc. Il existe des lois issues de plusieurs conventions qui portent sur l’environnement de manière globale. L’environnement est précieux, mais son histoire ne date pas de si longtemps : partie de la convention de Stockholm en 1972, la définition de l’environnement prend donc une définition solide et qui complète avec le développement durable. Il faut donc gérer de manière à sauvegarder les besoins actuels et préserver les intérêts des générations futures. Et là, il faut encadrer cette vision par des forces que nous appelons les lois. Chaque Etat a des lois aux côtés des conventions signées qui regardent l’environnement dans ses différentes composantes comme le changement climatique qui agresse l’environnement.
Nous avons la désertification, la pollution, les produits chimiques, autant de facteurs qui détruisent l’environnement. Les lois sont prises pour être respectées et pour les respecter, il faut s’appuyer sur les juges et les magistrats. Donc, le symposium est un appel lancé à l’endroit de chaque pays d’impliquer les juges et magistrats pour l’application des lois. Ainsi, toute atteinte à l’environnement constitue une infraction et la personne responsable doit être punie ou amenée à réparer les torts causés. Les textes existent et il faut juste les rendre effectifs. Ces juges et magistrats devraient juste appliquer la loi. Par ailleurs, il faut conscientiser, sensibiliser et se mettre ensemble afin que nos pensées abstraites deviennent une réalité pour que l’environnement puisse exister sur la forme souhaitée.
Ce symposium nous a permis d’échanger, d’avoir de réflexions d’ensemble et de proposer des débuts de solutions avec tous ceux qui étaient présents. Outre les thèmes qui étaient abordés, d’autres indicateurs sont également à identifier. Il y a eu des experts qui étaient là pour nous donner des indicateurs et apprécier car après un chemin parcouru, il faut apprécier et amener les gens à connaitre les lois et le droit applicable de façon intense pour que la réponse soit effective avec le concours des magistrats et des juges. Donc, il faut insister sur la conscientisation, l’éducation des masses et la sensibilisation pour protéger et susciter un changement parce que l’environnement fait partie de notre vie. En aimant l’environnement, on s’aime soi-même. Au Cameroun, nous avons le pouvoir judiciaire composé des magistrats et des juges, disponibles et volontaires de faire appliquer la loi contre des infractions constatées.
Au regard d’un certain nombre de mesures prises sur la gestion des déchets plastiques et des produits industriels, le traitement des déchets polluants, la régulation en place a-t-elle permise que ces mesures soient suivies des faits ?
Nous sommes assis sur une réglementation solide. D’abord, notre constitution donne le droit à tout camerounais à un environnement sain. Ensuite, nous avons la loi de 1996 pour la gestion de l’environnement. Par ailleurs, il y a eu bien d’autres lois qui ont existé et qui existent. Mais, à l’heure actuelle, je pense que le combat que nous menons sur le terrain, en termes de lutte contre la pollution, des déchets plastiques et le succès que nous remportons est dû grâce à l’implication des magistrats et juges. Donc, nous pouvons parler de bilan élogieux à ce niveau. Au Cameroun, nous recensons près de 6 millions de tonnes de déchets par an dont 10% de déchets ménagers et plastiques ; 600 000 tonnes ce qui énorme. Vous prenez quelqu’un en flagrant délit, il paye ce qu’il doit payer en termes d’amende.
A l’heure actuelle, il y a une forte collaboration entre la justice, la force publique, les agents et inspecteurs, les contrôleurs et d’autres ministères transversaux qui nous accompagnent dans les descentes sur le terrain. Outre cette collaboration, notre direction dispose d’une brigade qui sillonne tout le pays en vue de contrôler les établissements économiques et d’autres de la façon dont ils gèrent les déchets polluants et respectent d’autres normes spécifiques.
Un travail énorme est en train d’être mené dans le respect des normes environnementales qui sont connues, mais devraient être accrues, adaptées par rapport aux standards internationaux. A l’heure actuelle, un chantier est mené sur les normes en lien avec la qualité de l’air, nous avons choisi quelques éléments dont nous connaissons les limites au niveau des émissions pour en faire des normes et veiller à ce que les émissions ne dépassent pas une certaine limite. Nous sommes ouverts avec les structures qui souhaitent nous accompagner et nous aider à trouver d’autres sources d’émissions qui vont permettre de capter les diverses pollutions et leurs provenances que nous essayons de combattre à la source. C’est un travail qui vient de commencer et nous pensons que d’ici un an ou deux, nous commencerons par les deux grandes métropoles, Yaoundé et Douala où la qualité de l’air et les normes seront connues avec l’accompagnement des juges et magistrats.
Comment menez-vous la politique d’adaptation et quelles sont les mesures prises face aux changements occasionnés par les effets de la désertification qui entraînent les bouffées de chaleur intenses et imprévues au Cameroun?
Dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques, de lutte contre la désertification ou la gestion durable de la biodiversité, les mesures sont nombreuses relatives aux Conventions qui ont imposé un certain de mesures pour sortir de l’aubaine. Nous savons que l’un des facteurs aggravants du changement climatique est la sécheresse et le désert. Sur ce, nous avons un programme qui consiste à reboiser. Au préalable, nous avons commencé par un recensement dans la partie anthropique et le constat, 12 millions d’hectares de terres dégradées sont à reboiser dont 8 millions seraient dans la partie du grand nord que nous sommes en train de chercher à reboiser avec l’appui de la communauté internationale.
Dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques, certes, nous avons un programme national d’adaptation, mais nous avons aussi le projet REPEC (Résiliences de Populations aux Effets du Changement Climatique) qui est à cheval entre adaptation et changement climatique. Le REPEC est un programme mis sur pied dans le cadre de la stratégie REDD+ (réduction des émissions des gaz dues à la déforestation et à la dégradation) et augmentation du stock de carbone par le reboisement et aider la population à s’adapter à travers plusieurs actions : l’enseignement de bonnes pratiques aux populations et leur prodiguer des conseils afin qu’elles s’approprient ces bonnes pratiques pour s’adapter notamment avec des actions de reboisement.
Pour l’instant tout se passe bien et on a espoir qu’avec le temps on arrivera à inverser la tendance puisque le problème est global quand bien même nous savons que sur le plan international, lors de la COP 2, avec l’accord de Paris, le Chef de l’Etat a pris l’engagement de réduire au niveau national 32 % de nos émissions des gaz à effet de serre à l’horizon 2035. Par ailleurs, nous avons des actions à mener pour continuer à stabiliser le climat dans le monde. Au regard des efforts accomplis, les choses pourront aller.
Au regard des engagements pris au niveau national, quelle est l’implication réelle des politiques et les attentes en termes de financement ?
Il faut se dire qu’en termes de changement climatique, nos pays sont plus victimes que responsables des conséquences actuelles au niveau mondial. Cependant, le constat fait, tous nous en souffrons à tous les niveaux. Bien que nous ne sommes pas à l’origine de l’augmentation de la température dans le monde. Alors, malgré les engagements pris au niveau international, nous avons nos propres efforts internes à fournir au niveau de chaque pays vers ce genre de projets. Ainsi, avec la création du Fonds vert climat, c’est une fenêtre de financement qui s’ouvre pour que les pays africains, engagés dans ce combat, puissent nous permettre d’aboutir. Au-delà de ce Fonds, il existe aussi le Fonds d’adaptation, mais aussi tant d’autres existants. A noter que ces Fonds sont orientés vers la lutte contre les changements climatiques.
Donc, il faut que, pour chaque projet, suivant sa nature, chacun puisse s’orienter vers tel ou tel fonds pour avoir des financements tout en ayant sa propre partition et assurer sa propre volonté. Nous respectons, avec l’impulsion du Chef de l’Etat, nos propres engagements par des actions concrètes.
Comment amener les populations à changer leurs habitudes au regard des mesures correctives prises par l’Etat ? Comment relever ce défi ? Quel est le rapport qui existe entre le ministère, les ONGs, les réseaux et plateformes travaillant sur cette thématique ?
Le CEPA est impliqué dans toute action et chaque projet que nous menons, parce qu’il faut communiquer, sensibiliser et agir, sinon il n’y aura pas d’impact sur les populations. Quand bien même il est fait des projets d’impacts environnemental et social, il y a ce côté contact avec la population. On discute ensemble du bien-fondé du projet et surtout de ses impacts au niveau local. Indépendamment de ce travail qui est fait et qui se fait, c’est une action permanente. La lutte contre les changements climatiques est l’affaire de tous et il y a cinq piliers autour desquels nous agissons : adaptation, atténuation, renforcement des capacités, financement et transfert des technologies. Il faut le dire, l’Etat seul ne peut pas tout faire et c’est un pacte social qui marche à merveille. Lors de la conférence des Parties, tous nous sommes présents : société civile et pays, mais on n’assure pas les charges financières de leur participation. Or, sur place, cela devient une affaire commune.
A notre tour, lorsque nous recevons de l’aide au niveau international, nous pensons à tous : au privé, à la société civile et nous regardons ce qu’ils pensent de toute décision prise. On travaille ensemble car personne n’a le monopole du savoir, pas l’Etat sans le privé et pas l’Etat sans la société civile. Nous sommes les éléments d’un ensemble qui travaillent pour l’intérêt de tous.
Propos recueillis par Raoul Siemeni et Marie Tamoifo