Préoccupé par l’essor de l’agriculture africaine, Francis Dossou Sognon, Ceo de la structure AgroSfer, a, dans une réflexion rendue publique, proposé trois pertinentes pistes de solution pour une véritable transformation de l’agriculture africaine. Pour celui qui, depuis quelques années, construit une expertise sur la transformation de l’agriculture africaine par le digital, il y a de fortes raisons de croire à cette révolution agricole. Sur la base d’une analyse basée sur l’état des défaillances, les écosystèmes d’acteurs, les rapports de forces ainsi que le potentiel agricole en Afrique, Francis Dossou propose trois leviers à actionner pour une marche sereine vers la transformation de l’agriculture africaine. Voici ce que propose Francis Dossou !
La fin des monocultures opportunistes
« Monsieur, actuellement les producteurs attendent, ils ne savent pas quoi produire ! ». Cette phrase assez surréaliste, je l’ai entendue il y a à peine quelques jours. Les producteurs sont à l’affût des opportunités commerciales pour produire. Ce qui a marché une campagne car plus de demandes que d’offres (par exemple du fait d’une sécheresse dans une région productrice à l’autre bout du monde), tout le monde se jette dessus. Conséquence, la campagne suivante, le déséquilibre temporaire étant corrigé, il y a trop d’offres et le prix chute. Le producteur ne comprend alors pas pourquoi le bruit a couru que le soja marche et qu’il a fait du soja et qu’il le vend à perte.
Il faut sortir de ce modèle et aller vers un modèle où le producteur a une production principale et une production opportuniste. La production opportuniste, peut varier quasi à chaque campagne alors que la production principale est plus stable. Choisie par lui-même ou plus logiquement attribuée par une autorité de stratégie agricole nationale, la production principale répond à un des deux impératifs stratégiques : nourrir le pays (visée d’autosuffisance) ou l’enrichir (visée de rente). La production opportuniste peut être laissée à la totale liberté du producteur ; il peut opter pour une culture de subsistance ou une culture de rente. Ici aussi, des conseils judicieux peuvent l’aider à faire les bons choix.
Une telle stratégie bien pensée et exécutée sous forme de programmes incitatifs bien coordonnés permet d’atteindre plusieurs objectifs simultanément : l’autosuffisance alimentaire, croissance des exportations, amélioration des revenus des producteurs et magnifique cerise sur le gâteau, combiner et alterner efficacement les cultures permet de maintenir la santé des sols et avoir des bons rendements sans recourir aux engrais à outrance.
L’accélération des échanges commerciaux régionaux
La faiblesse des revenus des producteurs est en partie due à leur incapacité à saisir certaines opportunités commerciales, soit par ignorance de leur existence, soit par incapacité à y accéder. Certaines de ces opportunités sont pourtant à portée de main. Il n’est pas impossible de voir un stock qui pourrit chez des producteurs dans une localité A et d’aller constater quelques kilomètres plus loin dans une localité B qu’un acheteur potentiel recherche désespérément ce produit. Ceci est encore plus flagrant d’un pays à l’autre en Afrique sub-saharienne.
C’est un mélange de l’indisponibilité de l’information, de la faible circulation du peu d’information existante et d’une bonne couche de complexité d’exécution quand il est question de faire du commerce transfrontalier. Malgré l’existence d’accords et de zones dites de libre circulation, le mouvement des biens et des personnes d’un pays à l’autre en Afrique reste souvent un challenge administratif et logistique long et coûteux.
C’est souvent une bataille dans laquelle ni les producteurs ni même les coopératives n’ont les capacités de se lancer. Cela laisse la place à des intermédiaires qui profitant de cette opacité et en passant ces barrières créent leur valeur. Ce n’est pas sans mérite mais cela profiterait au plus grand nombre si moins de valeur résidait dans la capacité à naviguer dans le labyrinthe administratif et logistique.
Les traités commerciaux doivent favoriser et préserver davantage la circulation des matières agricoles produits localement au détriment des importations. Si par exemple, l’inondation du marché nigérian par du riz importé d’Asie via le Bénin a été une des causes des tensions entre les deux pays, la fermeture des frontières a malheureusement aussi impacté les petits producteurs béninois dont une partie importante des productions est destinée au géant voisin.
L’autre axe est le développement des infrastructures : routes, voies aériennes, fluviales et maritimes font cruellement défaut pour faire circuler rapidement des matières premières périssables entre pays africains. Il est moins coûteux d’envoyer des produits en Europe ou en Asie que de les envoyer à d’autres endroits du continent africain, comme il est parfois plus simple pour le voyageur d’aller d’une ville africaine à une autre en faisant une escale hors du continent, souvent en Europe.
Simplifier réellement les flux de personnes et de marchandises est un vrai levier d’accélération économique en général, mais ce sera pour le cas de l’Afrique, un catalyseur de la valorisation du travail de son secteur agricole.
Les interventions pérennisées par des modèles économiques
Les projets des bailleurs ont pendant longtemps été implémentés par leurs soins ou ceux d’ONG. Le hic dans ceci est que beaucoup de ces acteurs dépendent de la répétition des projets. Autrement dit, en Afrique, beaucoup d’ONG et de cabinets actifs dans les projets de développement ne peuvent exister qu’à travers les revenus directs perçus de leur contribution à un projet. Bon nombre retombent en sommeil temporaire en attendant le prochain projet. Il s’agit d’une économie autour des projets qui en elle-même explique en partie le fait que les projets ne résolvent jamais durablement les sujets attaqués car cela reviendrait à tuer la poule aux œufs d’or.
Pour résoudre les problèmes, il faut travailler avec des acteurs dont l’intérêt est dans la résolution durable des problèmes, ou les motiver en ce sens.
Une approche est de travailler avec des structures privées ; ESS (Entreprises Sociales et Solidaires) ou pas, un acteur privé bien choisi peut avoir plus d’intérêt à ce qu’un dispositif mis en place avec lui dans le cadre d’un projet soit pérenne s’il peut en tirer des revenus. Une entreprise peut avoir un intérêt à ce que l’agriculteur gagne davantage pour pouvoir payer ses services et non qu’il reste dans la pauvreté pour justifier qu’un projet identique soit rejoué dans quelques années. Si l’activité d’une entité (et indirectement la pérennisation des revenus de ses membres) dépend d’une chose, quelles sont les chances que l’entité et ses membres contribuent réellement à éradiquer cette chose
Cette inquiétude est partagée par plusieurs acteurs avec lesquels j’ai discuté au cœur même de ces entités et institutions et à des niveaux de responsabilités variés. L’idée que la meilleure manière d’aider une communauté à se développer est d’investir dans l’entrepreneuriat local fait son chemin.
Accompagner les entrepreneurs, les soutenir en mettant leurs services à l’épreuve des réalités à travers des projets devrait être plus productif que financer une ONG dans bien des cas. Ou accompagner une ONG à évoluer en une ESS qui trouve sa pérennité dans l’épanouissement de sa population cible est un meilleur investissement du temps et de l’argent de tous.
Attention, je ne fais pas de généralité.
Je n’idéalise ni la vertu des entreprises (ou du lucratif), ni ne diabolise les dérives des ONG (ou du caritatif). Une combinaison des forces des uns et des autres devrait donner un amalgame plus profitable pour tous.
Voilà donc la troisième et dernière idées concrètes, simples mais très complexes à mettre en œuvre. La question suivante c’est, serons-nous assez, en nombre et en influence pour faire basculer les choses du bon côté ?
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