AEP : Quels sont les enjeux de la conservation en Afrique centrale pour WWF ?
Marc LANGUY : Les enjeux de la conservation dans le Bassin du Congo sont d’abord ceux qui sont partagés par tout le monde à commencer par les communautés locales, les populations riveraines, la société civile, les gouvernements, les bailleurs de fonds, etc. c’est un enjeu commun qui n’est pas propre au WWF. Les enjeux, je pense que c’est ce qu’on a défini en 2016 de manière assez différente de ce qu’on a connu il y a une vingtaine d’année. Il y a une vingtaine d’année les enjeux étaient essentiellement ceux du secteur forestier et environnement, la méconnaissance des ressources forestières, le manque du plan d’aménagement pour les concessions forestières, etc. Les enjeux de nos jours sont plus externes au secteur forestier, ce sont les enjeux qui concernent le développement économique, l’agrobusiness, les investissements étrangers, l’accaparement des terres et le tout forme une menace sur le maintien de la forêt, non pas sur son utilisation mais sur le maintien du couvert forestier et de la faune qui y habite. Donc, les enjeux sont maintenant multisectoriels et nous avons besoin de s’assoir ensemble avec les différents secteurs, le secteur privé, les gouvernements, la société civile, l’environnement, l’agriculture et voir comment on peut maintenir la forêt tout en permettant un développement économique qui bénéficie aux populations du Bassin du Congo.
Qu’est-ce qui caractérise les actions du WWF en Afrique centrale ? Sur quoi sont focalisés vos projets et quelles sont vos approches ?
Ce qui est assez caractéristique pour notre travail est qu’on travaille à trois niveaux. Le premier niveau, ce sont les projets de terrain, les projets essentiellement centrés autour d’aires protégées avec les communautés riveraines et les gestionnaires des parcs nationaux pour nous assurer que les plans d’aménagement de ces parcs nationaux et de ces aires protégées répondent à la fois aux aides pratiques de la conservation mais aussi aux impératifs de développement autour des parcs nationaux. Toujours au niveau du terrain, nous travaillons sur des thématiques, par exemple, nous travaillons sur la certification forestière, des miniers, et aussi sur la problématique de développement d’huile de palme. Le deuxième niveau sur le lequel le WWF travaille c’est le niveau national car tout cela peut se faire s’il existe un cadre légal et des politiques adéquates et enfin le troisième niveau sur lequel le WWF travaille c’est le niveau global et nous utilisons le réseau du WWF qui travaille à travers une centaine de pays pour aussi influencer les politiques globales telle que la COP21, la COP22, les conventions sur la biodiversité biologique et d’autres initiatives globales qui sont vraiment une réalité dans les changements actuels. Nous voyons les changements politiques très importants qu’il y a eu ces derniers mois et même ces dernières semaines, il faut qu’on puisse aussi adresser toutes ces problématiques à ce niveau global.
En termes d’avancées sur les potentiels résultats que vous avez au niveau de l’Afrique centrale, ils peuvent être jugés assez satisfaisants et vous avez parlé de la dynamique en termes de rapport avec les institutions, quelle évaluation faites-vous entre les actions de WWF en Afrique centrale et les populations par les pays bénéficiaires de ces programmes ?
Les avancées que nous voyons au niveau du terrain c’est par exemple au niveau de la criminalité faunique, on parvient à obtenir beaucoup plus de résultats pas seulement dans la lutte anti braconnage sur le terrain qui existe depuis longtemps, mais plutôt en termes d’arrestations non seulement des braconniers en eux-mêmes mais des intermédiaires. Encore plus important, on parvient à avoir de plus en plus de jugements au niveau de la justice parce que arrêter les braconniers et après il n’y a pas de suivi cela ne sert à rien. Nous voyons beaucoup de progrès grâce justement à cette collaboration multiforme, ceci ne peut fonctionner non seulement en travaillant avec le ministère en charge des aires protégées, mais en engageant la justice, les douanes et d’autres administrations nationales. Nous avons aussi d’autres avancées claires en termes de foresterie communautaire où on a au Gabon par exemple des foresteries communautaires plutôt développées ; dans le sud-est Cameroun avec les communautés Baka qui sont propriétaires et gestionnaires de ces forêts communautaires ; on a vu des progrès en RDC avec la nouvelle loi qui ouvre justement la voie pour les foresteries communautaires ; donc il y a des progrès concrets au niveau du terrain. Quant à la deuxième partie de votre question qui concerne l’articulation du travail avec les autres entités et la collaboration des partenariats, nous sommes ici réunis à Kigali pour la 16e réunion du partenariat pour les forêts du bassin du Congo, PFBC, ce qui est intéressant à voir c’est la multiplicité des intervenants, on a le secteur privé même s’ils sont encore peu nombreux, les gouvernements, les institutions régionales (CEEAC, RAPAC, COMIFAC) et toute une autre multitude d’institutions régionales, des chercheurs, des universités, des ONGS internationales, la société civile et enfin nous avons aussi des bailleurs de fonds qui finalement peuvent influencer et promouvoir le travail qui est fait à travers ce partenariat et qui est assez unique et qui complémente déjà assez bien les initiatives déjà existantes menées soit par les gouvernements, soit les institutions intergouvernementales régionales.
Qu’est-ce qui est projeté au niveau du WWF dans son planning d’activités en termes de projets et autres ?
Je pense que tout en continuant le travail de terrain que j’ai un peu décrit ci-dessus, les grands enjeux sur lesquels nous nous embarquons de façon concrète ce sont les nouvelles menaces entre guillemets qu’on peut tourner en opportunités. On peut voir le développement agricole comme une menace si c’est mal géré mais c’est bien évidemment une opportunité si c’est bien encadré et que cela permet un développement qui soit compatible avec la conservation. On peut maintenir un couvert forestier y compris avec de la faune si on a les bonnes approches. Donc, nos engagements nouveaux c’est de travailler plus proche avec le secteur privé et en particulier les investissements importants pour l’agriculture industrielle ou du moins intensive, c’est d’améliorer aussi la productivité agricole donc pour gérer tout le problème de déforestation dû à des mauvaises pratiques, c’est engager les miniers, faire de l’offset et c’est enfin aussi mobiliser des fonds qui seront liés au compensation climat. Les différents mécanismes qui sont maintenant en place très concrètement, cela existe déjà en RDC, on connait les flux financiers dans le cadre des compensations climat, d’émission carbone et je pense que maintenant c’est le bon moment de profiter de cette expérience et de la transcrire au Cameroun, au Gabon, en RCA, au Congo et de pouvoir faire une différence.
Le WWF est l’une des seules organisations en Afrique centrale qui a pris la question de développement des palmerais à huile dans ses programmes et nous savons que plusieurs pays ont ces approches au niveau de production de ce type d’agriculture. Au niveau du WWF que peut-on retenir en termes d’avancées dans le cadre de cette politique ?
D’abord le constat, nous avons vu ce qui s’est passé en Asie du sud-est en particulier où les forêts tropicales ont été remplacées par des grandes plantations de palmiers à huile. On ne veut pas que la même erreur se répète dans le bassin du Congo. Quand on dit on ne veut pas cela ne veut pas dire que le WWF est contre le développement du palmier à huile, mais je pense qu’il faut être pragmatique et réaliste. L’Afrique centrale pour le moment est en déficit de palmiers à huile, on a une importation qui est plutôt anormale et donc, le WWF veut faire une promotion du palmier à huile qui soit compatible avec le maintien des forêts humides, denses du bassin du Congo et pour cela il y a plusieurs méthodes. En gros, on essaie de promouvoir des plantations de promotion des palmiers à huile qui soient compatibles avec des critères, des standards internationaux et en particulier ce qu’on appelle RSPO (Round Stable Consistable .Palm Oil) qui donne des directives assez claires sur les zones où l’on peut ou ne pas développer le palmier à huile. Il donne aussi des directives environnementales pour les plantations et aussi des directives sociales pour ce développement. En pratique, l’on fait deux choses voir trois, au niveau national on développe des stratégies de palmier à huile donc on aide les gouvernements en particulier le ministère de l’agriculture mais aussi les ministères connexes en charge des forêts pour développer des stratégies nationales ; on travaille au niveau régional avec la CEEAC pour promouvoir aussi cette approche RSPO en Afrique centrale et finalement on travaille avec les compagnies privées qui développent le palmier à huile pour améliorer leurs standards et pour s’assurer qu’elles respectent ces standards environnementaux, sociaux et économiques.
Propos recueillis par Raoul SIEMENI