METTRE FIN AUX MINERAIS DES CONFLITS ET À LA MALÉDICTION DES RESSOURCES DANS LES GRANDS LACS
Les ressources minières représentent la principale richesse en Afrique centrale. Pourtant, son exploitation a tendance à financer les conflits régionaux et à ne profiter qu’à une minorité. C’est pourquoi la cohérence des politiques de commerce et d’investissement en Afrique centrale doit être renforcée au service de la paix et du développement, à travers un approvisionnement responsable en minerais et des politiques d’investissement renforçant les objectifs de développement durable. L’accord peu ambitieux annoncé le 16 juin 2016 par l’Union européenne en matière d’approvisionnement responsable en minerais représente à cette aune une occasion manquée.
GARANTIR UN APPROVISIONNEMENT RESPONSABLE DES MINERAIS DES GRANDS LACS
La région des Grands Lacs en Afrique centrale regorge de ressources naturelles. La République démocratique du Congo (RDC) concentre ainsi environ 10% des réserves mondiales de cuivre, un tiers des réserves mondiales de cobalt et le quart des réserves mondiales de tantale. Elle dispose également d’importants gisements d’autres minerais, comme l’or, le diamant, le tungstène ou l’étain, ainsi que des ressources en hydrocarbures et en gaz. La plus grande partie des ressources minières des Grands Lacs se trouve en RDC, mais une part considérable est transfrontalière – comme les minerais, les hydrocarbures et le gaz –, ce qui en fait un enjeu régional.
Comme l’ont dénoncé de nombreux rapports des Nations unies, les populations de l’est de la RDC, où se situe la majorité des ressources minières de la région des Grands Lacs, sont victimes depuis deux décennies de conflits récurrents alimentés par l’exploitation illégale des ressources naturelles et qui déstabilisent l’ensemble de la région des Grands Lacs. De nombreuses concessions sont en effet exploitées illégalement, quand elles ne sont pas pillées par des groupes rebelles pour acquérir des armes. Ces minerais des conflits peuvent se retrouver ensuite dans les smartphones, tablettes et autres ordinateurs portables vendus librement sur le marché européen et ailleurs dans le monde.
En 2014, la Commission européenne a proposé un mécanisme d’approvisionnement responsable des minerais issus des régions en conflit et à risque. Ce projet prévoyait une approche volontaire permettant à la vingtaine de raffineries et fonderies européennes qui le souhaitent de mettre en œuvre une « diligence raisonnable » permettant d’auto-certifier leur chaîne d’approvisionnement des minerais provenant des régions en conflit (dont la région des Grands Lacs) et pour lesquels l’OCDE a défini un Guide pratique (l’or, le tantale, le tungstène et l’étain).
Saisi de la question, le Parlement européen a décidé d’aller plus loin que la proposition de la Commission, qui ne proposait qu’un mécanisme non contraignant limité aux raffineries et aux fonderies en amont de la chaîne de production (upstream). En mai 2015, la plénière du Parlement adoptait un mécanisme contraignant de « devoir de diligence » dans les chaînes d’approvisionnement de ces minerais pour toutes les entreprises concernées – aussi bien en amont (upstream) qu’en aval (downstream) des chaînes de production.
La discussion en « trilogue » entre le Parlement, le Conseil des Etats membres et la Commission, en vue de trouver un compromis pour que la législation européenne soit définitivement adoptée, a duré plus d’un an. Les Etats membres ont malheureusement appuyé la position de la Commission, la majorité d’entre eux ne voulant même pas d’un mécanisme volontaire pour les fonderies et raffineries. Le Parlement, isolé, a toutefois exigé un mécanisme contraignant limité aux entreprises en amont de la chaîne de production (upstream). Il en a découlé un compromis très peu ambitieux, annoncé le 16 juin 2016 par la présidence hollandaise de l’Union européenne : un mécanisme contraignant limité à la vingtaine de raffineries et fonderies européennes, ainsi qu’aux quelques dizaines d’entreprises important ces minerais au-dessus d’un certain volume financier (dont le niveau, qu’il reste à définir, déterminera combien d’entreprises seront finalement concernées). Si l’accord permet d’opérer un pas dans la bonne direction, il ne concerne pas les importateurs de produits finis contenant ces minerais commercialisés sur le marché européen, simplement invités sur une base volontaire à vérifier que les produits finis ne contiennent pas des minerais des conflits. Le lien entre le commerce des minerais et les conflits reste donc loin d’être rompu.
Il est pourtant incohérent que l’Union européenne et les autres bailleurs de fonds internationaux mobilisent d’importants moyens financiers et diplomatiques pour promouvoir la paix et le développement en Afrique centrale, alors qu’ils tolèrent par ailleurs la commercialisation sur leurs marchés de produits contenant des minerais qui ont servi à financer les conflits dans cette région. C’est pourquoi un mécanisme contraignant d’approvisionnement responsable des minerais des conflits est nécessaire pour l’ensemble de la chaîne de production et de commercialisation, tel qu’adopté par le Parlement européen en mai 2015. Il est également nécessaire de soutenir la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), qui représente le cadre institutionnel régional susceptible d’harmoniser les législations et instaurer des mécanismes régionaux d’échange de données, de certification et d’alerte, comme cela a été proposé en 2010 par la déclaration de Lusaka.
PROMOUVOIR UNE EXPLOITATION DES RESSOURCES NATURELLES AU BÉNÉFICE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
La relance de l’exploitation minière représente le principal facteur du redressement des indicateurs macroéconomiques en République démocratique du Congo (RDC). Alors qu’entre 1989 à 2001, l’économie congolaise avait été en profonde récession quasi sans interruption, la croissance économique est désormais de retour : hormis en 2009, lorsque l’impact de la récession mondiale a fait baisser le taux de croissance du PIB congolais à 2,7%, la croissance annuelle a été de 6 à 7% entre 2007 et 2012 et dépasse 8% depuis 2013. La hausse des exportations, dont la valeur a atteint en 2014 près de 10 milliards de dollars, s’explique quasi exclusivement par l’augmentation des exportations minières qui ont représenté 94% des exportations totales en 2014 [1]. La production de cuivre, qui était tombée à moins de 20 000 tonnes au début des années 2000, a été multipliée par cinquante depuis lors, dépassant les 300 000 tonnes en 2008 et 2009, les 500 000 tonnes en 2010 et 2011 et le million de tonnes en 2014 – soit le record historique du pays et le double du précédent record des années 1980. La RDC est également redevenu le numéro un mondial des exportations de cobalt, dont la production atteignait près de 75 600 tonnes en 2014 (soit plus de la moitié de la production mondiale), et a enregistré de fortes hausses de production d’or, de coltan ou de cassitérite [2].
Toutefois, la croissance économique tirée par l’exploitation minière ne crée que très peu d’emplois formels. Au total, l’Office national de l’emploi estime à seulement 68 714 le nombre d’emplois formels directs et indirects générés par le secteur minier industriel (soit moins de 0,2% de la population active congolaise) [3].
En outre, les recettes fiscales générées par le secteur minier – via l’impôt sur les salaires et les sociétés, les droits de douane et les royalties – ont représenté selon le FMI 829 millions de dollars en 2014, soit seulement 16% des recettes fiscales totales de l’Etat congolais ou 2,9% du PIB. Cela s’explique par le code minier de 2002 qui permet un régime fiscal très généreux pour les entreprises minières. L’opacité qui entoure le secteur minier congolais implique un important manque à gagner pour les caisses de l’Etat. Les concessions sous-facturées, les montages financiers opaques, les contrats miniers non publiés et les exonérations fiscales excessives sont en effet monnaie courante. Les pertes engendrées par l’Etat congolais sont colossales. Selon le Rapport 2013 de l’Africa Progress Panel analyse cinq contrats miniers conclus entre 2010 et 2012 et impliquant la vente par une entreprise publique congolaise de concessions à une ou plusieurs sociétés offshore, pour la plupart immatriculées dans les Îles Vierges britanniques et en rapport avec le groupe Fleurette [4]. Il en résulte que l’Etat congolais a perdu dans le cadre de ces cinq contrats la bagatelle de 1,36 milliard de dollars de recettes suite à la sous-évaluation des actifs miniers vendus aux sociétés offshore, ce qui représente le double du budget cumulé de la santé et de l’éducation en RDC. Les concessions ont été vendues en moyenne à un sixième de leur valeur de marché, engendrant pour les sociétés offshore un taux de rendement moyen de 512%. L’évasion fiscale est favorisée par les « conventions de prévention de la double imposition » (CPDI) qui, selon le FMI, l’OCDE, la Banque mondiale et l’ONU [5], ont tendance à se muer en « double non-imposition » grâce aux techniques d’optimisation fiscale qu’elles permettent. Le modèle belge de CPDI, daté de juin 2010 et qui a notamment été signée avec la RDC et le Rwanda, a tendance à faciliter ce genre de pratique.
Enfin, le code minier est très permissif en matière de rapatriement des profits engendrés par les investissements directs étrangers (IDE), à un point tel que ces rapatriements dépassent les entrées d’IDE depuis 2013, phénomène appelé à s’exacerber à terme selon le FMI, qui prévoit des rapatriements de profits plus de trois fois supérieurs aux entrées d’IDE en 2019 (2 milliards de dollars d’entrées d’IDE contre 7 milliards de profits rapatriés) [6]. Or la réforme du code minier, prévue depuis 2012, est toujours bloquée.
C’est pourquoi il est nécessaire de promouvoir, notamment au sein de la Banque mondiale qui a fortement influencé le contenu du code minier de 2002, une réforme du code minier en RDC vis-à-vis du législateur congolais. Celui-ci doit être plus exigent en mobilisation des ressources domestiques, afin de s’assurer que les investissements dans le secteur minier garantissent un apport net de capitaux à l’économie congolaise. Il est en outre nécessaire de réformer le modèle de convention de prévention de la double imposition, afin de corriger les mesures qui favorisent l’optimisation fiscale agressive des entreprises.
Arnaud Zacharie
cncd.be