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En Afrique subsaharienne, les droits des femmes à disposer librement de leur corps sont « menacés »

Le chemin s’annonce encore long avant que les femmes et jeunes filles africaines obtiennent le plein respect de leurs droits fondamentaux. Contraception libre et éclairée, avortement légal et sûr, accès à une information complète et aux soins de santé sans discrimination, égalité avec les hommes, lutte contre les violences domestiques et sexuelles : sur tous ces sujets, les défis s’annoncent aujourd’hui encore plus immenses qu’avant la pandémie de Covid-19.

C’est l’une des leçons qui ressort du rapport de la Fondation Jean-Jaurès et du cercle de réflexion Terra Nova, titré « Pour la liberté de disposer de son corps » (disponible ici) et publié le 24 juin dans le but d’apporter un éclairage et des recommandations aux différents acteurs du Forum Génération Egalité, qui doit se tenir du mercredi 30 juin au vendredi 2 juillet à Paris.

Le document dresse la situation de cinq pays subsahariens − Burkina Faso, Mali, Niger, Sénégal et République démocratique du Congo (RDC) − parmi les plus entravés dans cette longue marche vers l’égalité. « Dans ces Etats, les droits des jeunes filles et des femmes à disposer librement de leur corps sont fragiles, menacés, voire bafoués. Or il s’agit de droits inaliénables des femmes qui sont indispensables à leur autonomisation », alertent en préambule les auteurs, qui ont interviewé plus de 40 personnalités de terrain.

Dans cette région du monde pourtant relativement épargnée par la pandémie en nombre de décès, les conséquences des confinements sont désastreuses. Selon les projections mondiales de l’ONU, la crise sanitaire a mis en péril trente ans de « progrès remarquables » en santé maternelle et infantile. En tout, « 47 millions de femmes pourraient perdre l’accès à la contraception, ce qui entraînerait 7 millions de grossesses non désirées ».

En Afrique subsaharienne, alertait aussi l’Unesco en octobre 2020, les grossesses chez les adolescentes pourraient empêcher 1 million de filles de retourner à l’école. Et les mesures sanitaires ont renvoyé les femmes dans la sphère domestique, les exposant à ce point aux violences que la Sud-Africaine Phumzile Mlambo-Ngcuka, directrice de l’agence ONU Femmes, n’a pas hésité à qualifier la situation de « pandémie de l’ombre ».

Des lois méconnues

Vingt-six ans après la conférence de Pékin, en 1995, qui avait marqué un tournant crucial dans l’agenda mondial pour l’égalité des sexes, le Forum Génération Egalité − ajourné d’une année, Covid-19 oblige − veut marquer l’époque. Après un premier round à Mexico en mars, toutes les parties prenantes se retrouvent de nouveau autour de la table de discussions à Paris. A l’invitation de l’ONU Femmes, Etats, gouvernements, secteur privé, sociétés civiles, ONG et associations vont échanger retours d’expérience et analyses pour aboutir à des engagements financiers et à de futurs programmes.

Le rapport de la Fondation Jean-Jaurès et Terra Nova est donc avant tout conçu comme un plaidoyer pour appeler les bailleurs de fonds, au premier rang desquels la France, à être à la hauteur des enjeux et des discours féministes. Les auteurs se basent sur les remontées de terrain d’associations telles que l’Initiative Pananetugri pour le bien-être de la femme (IPBF) au Burkina Faso, le Réseau des jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest (RJFAO), la Cellule nigérienne des jeunes filles leaders, le bureau congolais de l’ONG Ipas ou encore le Réseau Siggil Jigéen au Sénégal, mais aussi les auditions de personnalités politiques et institutionnelles de ces pays. Si les situations nationales sont très variées et complexes, les recommandations des militantes et décideurs se recoupent.

En tout premier lieu, il est préconisé de progresser dans l’application du Protocole de Maputo, adopté en 2003 par l’Union africaine (UA) pour défendre les droits des femmes du continent. « C’est l’un des documents incontournables auxquels on a recours en Afrique », dit Irmine Ayihounton, membre du RJFAO au Bénin. Pourtant, ce cadre législatif panafricain, qui ouvre l’accès à la contraception sans restriction et autorise l’avortement sous conditions, est encore mal connu des politiques, des institutions de santé et judiciaires et des citoyens eux-mêmes. « Le protocole est l’une des clés de la réussite », explique Amandine Clavaud, responsable de l’égalité femmes-hommes à la Fondation Jean-Jaurès et l’une des auteurs du rapport : « Les lois nationales, qui inscrivent ces “nouveaux” droits dans leur législation au fil des années, sont encore trop hétérogènes. A l’arrivée, cela se traduit par des décès de mères et d’enfants. »

Continuum de soins

Pour en finir avec les résistances culturelles et « sortir de systèmes obscurantistes et des pratiques traditionnelles néfastes », plaide la Malienne Oumou Salif Touré, du RJFAO, « il faut miser sur la nouvelle génération, qui doit être au cœur des projets de sensibilisation ». « Les réseaux sociaux sont les nouveaux canaux d’information, de connaissance, d’aide et de diffusion de témoignages de résilience des femmes, poursuit-elle. Les jeunes ne sont pas de simples récipiendaires de programmes, mais les premiers acteurs. »

Or qui dit jeunesse dit école, qui reste le lieu où l’éducation à la santé sexuelle et reproductive peut être enseignée correctement et envisagée d’une manière globale et non plus segmentée. « C’est toute la chaîne d’intervention, de l’enseignant au système et au personnel de santé, qu’il faut renforcer et former », explique Wendyam Micheline Kaboré, directrice de l’IPBF au Burkina et en Afrique de l’Ouest. Un « continuum de soins » cher aux auteurs du rapport : « Il ne s’agit pas de prendre des mesures sectorielles », analyse Marc-Olivier Padis, directeur d’études chez Terra Nova : « Il faut prendre en compte tout un ensemble d’enjeux cruciaux si l’on veut qu’advienne l’égalité. » « L’école, mais surtout le maintien des filles à l’école, est la clé de voûte », enchérit Amandine Clavaud.

Les communautés, les autorités coutumières et les représentants religieux apparaissent comme des relais essentiels pour défendre les droits de femmes et permettre la mise en place des programmes au niveau local, y compris dans les endroits les plus reculés. A ce titre, le Partenariat de Ouagadougou a largement fait ses preuves. Lancé en 2011 par les neuf pays francophones ouest-africains, il a permis d’accélérer (hors Covid-19) la planification familiale au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Sénégal et au Togo en misant sur toutes les composantes des communautés.

« Crédibilité »

Les auteurs du rapport et les interviewés plaident pour la simplification de l’accès aux fonds des petites structures féministes locales, très agiles sur le terrain mais peu armées pour répondre à des appels d’offres conçus pour de grosses ONG. Ils insistent aussi sur la nécessité, pour les partenaires financiers, de s’engager sur le long terme. « L’inquiétude est très vive à ce sujet, soulève Amandine Clavaud. Surtout avec la crise sanitaire, qui a vu les fonds réorientés pour faire face à la pandémie. »

Une ambition qui ne pourra être réalisée que si les donateurs internationaux augmentent sensiblement leurs contributions. La France, coprésidente du Forum Génération Egalité, est concernée au premier chef. Les auteurs reconnaissent « des efforts » et une vision politique plus large depuis presque dix ans, amplifiée par le président Emmanuel Macron, qui a fait de l’égalité une « grande cause de son quinquennat ». Mais ils dénoncent aussi le manque de lisibilité de l’aide publique au développement (APD) et l’évolution à la baisse des dotations.

Sont donc attendues, à l’occasion du forum, des annonces fortes sur le prolongement des engagements financiers, notamment auprès du Fonds français Muskoka, du Partenariat de Ouagadougou et du Fonds de soutien aux organisations féministes, dernier-né de la diplomatie féministe française créé en 2020 pour trois ans. « C’est la crédibilité de l’engagement de la France qui se joue », n’hésite pas à conclure Marc-Olivier Padis.

https://www.lemonde.fr/

 

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