L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que la situation actuelle au Kenya est mieux contrôlée qu’en 2019-2020, lors d’une précédente invasion de criquets. Si la crise alimentaire et une catastrophe majeure ont pu être évitées, la menace est encore importante aujourd’hui pour les agriculteurs. Et des millions d’habitants restent confrontés à l’insécurité alimentaire. Sociétés privées, acteurs locaux et l’ONU renforcent les moyens pour lutter contre cette invasion.
« Au XXe siècle, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a recensé six invasions (de criquets en Afrique), dont la dernière remonte à 1987-1989. La plus récente ‘recrudescence’ date de 2003-2005. En 2018, une saison intense de cyclones dans la péninsule arabique a permis la prolifération de criquets pèlerins, dont les essaims ont gagné le Yémen, l’Arabie saoudite et l’Iran. Ils sont arrivés dans la Corne de l’Afrique mi-2019, y trouvant un terrain propice, alors que la région connaissait une des années les plus humides depuis des décennies, marquée notamment par huit cyclones au large de l’Afrique de l’Est », explique « Le Point« .
En 2020, neuf pays de la région sont touchés : l’Ethiopie, la Somalie, le Kenya, l’Erythrée, Djibouti, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Ouganda et la Tanzanie. Insectes sans frontières, poussés par le vent, les criquets pèlerins ont envahi aussi la province de l’Ituri en République démocratique du Congo. La FAO qualifie le criquet pèlerin de « ravageur migrateur le plus destructeur au monde » et l’ONU parle alors d' »un fléau aux proportions bibliques », précise franceinfo Afrique. Mais après une accalmie de quelques mois, en décembre une seconde vague d’essaims est apparue en Somalie et en Ethiopie, avant de gagner le Kenya.
Les essaims dévastateurs de plusieurs millions, et pour certains de milliards, d’insectes parcourent jusqu’à 150 km par jour, ravageant les cultures sur leur passage. « Inoffensif lorsqu’il est solitaire, le criquet pèlerin se mue, lorsqu’un essaim se forme, en animal vorace, qui s’attaque à toute végétation verte. Quand il est adulte, il mange l’équivalent de son poids, soit deux grammes. Quand il y en a des milliards, cela fait des millions de tonnes potentiellement consommées. Ce qui crée alors de l’insécurité alimentaire », explique à franceinfo Cyril Piou, chercheur au Centre de coopération internationale en recherches agronomiques pour le développement (Cirad).
Le nombre de criquets se multiplie par 20 tous les trois mois. « Les dernières saisons des pluies, parmi les plus humides depuis des décennies, ont favorisé leur reproduction. Selon Cyril Ferrand, un expert de la FAO installé à Nairobi, l’invasion de criquets a affecté l’alimentation de quelque 2,5 millions de personnes en 2020 et devrait en toucher 3,5 millions en 2021, dans l’ensemble de la région. Les prévisions de précipitations inférieures à la moyenne combinées à une meilleure surveillance pourraient freiner l’invasion, mais il est difficile de dire quand elle prendra fin. Il n’est pas à exclure que d’autres invasions suivront », ajoute l’AFP.
Pourtant dès 2020, la FAO a lancé une campagne d’intervention dans ces pays et mis plusieurs stratégies en place pour cette lutte antiacridienne, la pire du pays depuis 25 ans : pesticides, surveillance aérienne et terrienne. « La FAO estime que près de 2,7 millions de tonnes de céréales ont été sauvées, représentant une valeur de 800 millions de dollars. Mais plusieurs centaines de milliers d’hectares ont déjà été endommagés », précise « La Tribune Afrique« . La riposte initiale a souffert d’une mauvaise coordination, d’un manque de pesticides et d’avions pour les épandre, selon Cyril Ferrand, cité par l’AFP.
« Le moyen le plus efficace pour enrayer une invasion est l’épandage de divers pesticides, pulvérisés à petites doses, tant par les airs que depuis le sol. Ces opérations ont généralement lieu en soirée, quand les criquets se reposent et ne sont plus mobiles. Les produits agissent au bout de plusieurs heures, parfois plusieurs jours. Leur toxicité s’efface au bout d’une journée, mais cause toutefois la mort d’abeilles, papillons et autres insectes. La FAO assure que les opérations d’épandage sont ciblées et que des évaluations a posteriori sont menées », précise Natura-Sciences.
Pour endiguer la deuxième vague de 2021, les autorités ont déployé des moyens supplémentaires. « Au Kenya, la FAO s’est associée à la société 51 Degrees, spécialisée dans la gestion des réserves protégées, qui a réorganisé son logiciel servant à repérer le braconnage, les animaux sauvages blessés ou l’exploitation forestière illégale, pour y ajouter les essaims de criquets. Une ligne directe a également été installée pour recevoir les appels des chefs de village ou des 3 000 éclaireurs formés présents sur le terrain. Les informations sur la taille des essaims et leurs itinéraires sont partagés avec les gouvernements et les organisations luttant contre ces nuisibles », déclare « Le Monde« .
« L’approche a été complètement modifiée par de bonnes données, des données rapides et précises », explique le directeur de 51 Degrees, Batian Craig. Les opérations se sont concentrées sur une « première ligne de défense » dans les zones frontalières reculées et parfois hostiles avec l’Ethiopie et la Somalie, permettant ainsi de briser des essaims massifs avant qu’ils n’atteignent les terres agricoles du Kenya, souligne Batian Craig cité par « Le Monde ». L’expert de la FAO Cyril Ferrand ajoute que la capacité de surveillance, dans toute la région, est aujourd’hui bien supérieure à celle de 2020. Il précise qu’environ 260 équipes de surveillance au sol pour plus de 3 800 agents gouvernementaux sont actuellement dépêchées sur le terrain dans tous les pays touchés.
Kuzi, un outil basé sur l’intelligence artificielle, pourrait être une autre des solutions. « L’appareil utilise un modèle d’apprentissage automatique conçu pour obtenir des données satellitaires sur l’humidité du sol, le vent, la température de surface, ainsi que les données de capteurs de sol et l’indice de végétation – tous des facteurs qui affectent la reproduction, la formation d’essaims et le mouvement des criquets. Les communautés locales peuvent également recevoir des messages-textes sur leur téléphone portable sous forme d’alertes lorsque les criquets sont susceptibles d’attaquer les champs dans leurs régions, y compris le fourrage pour le bétail, afin qu’ils puissent se préparer longtemps à l’avance », ajoute sur SciDevNet, John Oroko le créateur de l’application Kuzi et PDG de Selina Wamuci, la société kényane qui l’a développée.
Au niveau économique, la start-up The Bug Picture propose de transformer ces nuisibles en profits. Elle veut apporter de « l’espoir aux désespérés » dont les récoltes et les moyens de subsistance sont détruits par ces insectes. Cette jeune société travaille en partenariat avec les communautés de la région de Laikipia, Isiolo et Samburu dans le centre du Kenya pour les récolter et les broyer, puis les transformer en aliments pour animaux riches en protéines et en engrais organique pour les fermes, explique Reuters.
The Bug Picture cible des essaims de 5 hectares ou moins dans les zones habitées ne convenant pas à la pulvérisation d’insecticide. Les criquets sont collectés la nuit à la lueur des torches lorsqu’ils se reposent sur des arbustes et des arbres. Elle paie aux fermiers 50 shillings kényans (0,4566 dollars) par kilogramme d’insectes. Entre le 1er et le 18 février 2021, le projet a supervisé la récolte de 1,3 tonne de criquets, selon Laura Stanford, la fondatrice de The Bug Picture qui s’est dite inspirée par un projet au Pakistan, supervisé par le Pakistan Agricultural Research Council, géré par l’Etat.
Mais Ambrose Ngetich, responsable de la lutte antiacridienne à Isiolo, au Kenya, déclare que les efforts de lutte contre les criquets doivent être encore intensifiés pour éviter les conflits. « Dans une région pastorale comme Isiolo, une invasion acridienne n’est pas seulement un problème économique, c’est aussi un problème de sécurité car la perte de pâturages due au criquet peut conduire à de graves conflits sur les ressources », dit-il sur SciDevNet.
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