Parmi les moins industrialisés, le continent africain est celui qui subit les plus grands contrecoups du réchauffement climatique. Aminetou Bilal, environnementaliste et activiste climatique mauritanienne, explique à Sputnik pourquoi il est urgent que les populations se mobilisent pour faire cesser les pollutions industrielles chez elles.
Elle n’est pas Greta Thunberg, mais Aminetou Bilal a réussi à mobiliser les jeunes en Mauritanie. À sa façon. En 2017, elle décide de lancer une campagne sur Facebook pour dénoncer l’insalubrité dans sa ville de Nouakchott, sous le hashtag #SelfieMbalite. Aussitôt, elle voit débarquer des dizaines de jeunes armés de pelles et de balais, prêts à déblayer les tas d’immondices.[EC1] «J’ai senti que j’avais touché une corde sensible», confie-t-elle lors de son passage en tant qu’Invitée Afrique de Sputnik France.
Avec son ONG éponyme, cette diplômée en géosciences de l’Université marocaine Cadi Ayyad est aujourd’hui sur tous les fronts, au sein de plusieurs programmes des Nations unies et d’ONG africaines et internationales.
En ce mois de juin où l’écologie est à l’honneur, avec la célébration de la journée mondiale de l’environnement (5 juin) et celle sur la préservation des océans (8 juin), cette militante confirmée a été confinée chez elle à cause de la pandémie, comme le reste de la planète. Mais pas question pour elle de chômage technique du fait de l’interdiction de se rassembler. «Au contraire, mon portable n’a jamais autant crépité», se réjouit-elle.
«Nous avons tellement de problèmes en Afrique avec la pandémie du coronavirus que les questions d’environnement pourraient paraître lointaines. En fait, elles n’ont jamais été aussi présentes, pour nous qui dépendons de notre biodiversité.
Par exemple, la majeure partie des Africains se soigne avec des plantes. C’est pourquoi le réchauffement climatique, l’érosion des sols, la désertification voire la préservation de nos ressources halieutiques sont autant de menaces sur nos modes de vie», explique-t-elle au micro de Sputnik France.
Aminetou Bilal reconnaît que les émissions de CO2 constituent un vrai problème en Afrique à cause, notamment, de la vétusté du parc automobile. Toutefois, si nettoyer les rues ou gérer les déchets ménagers restent des défis majeurs au quotidien, l’histoire du continent est –aussi– parsemée de scandales industriels qui défraient régulièrement la chronique: diesel sale en Côte d’Ivoire, mauvaise gestion des matières résiduelles au Ghana, exploitation de mines illégales au Mali ou déforestation au Gabon et au Congo.Des pollutions industrielles qui, certes, n’atteignent pas la proportion de la catastrophe de Bhopal en Inde ni celles des grandes marées noires de l’Amoco Cadiz ou de l’Erika par exemple, voire d’autres accidents pétroliers, qui se sont produits ailleurs qu’en Afrique.
Mais elles touchent de façon permanente aussi bien l’eau, le sol que l’air, selon Mahaman Laouan Gaya, secrétaire général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO).
Faire payer les pollueurs
Le secteur minier, notamment, est considéré comme l’un des plus à risque du fait de la toxicité de certains produits utilisés pour raffiner des métaux précieux comme l’or. Or, ceux-ci peuvent avoir un impact direct sur les nappes phréatiques.
C’est pourquoi, explique la militante, la responsabilité sociale et environnementale (RSE) a été introduite dans le code minier en Mauritanie. La SNIM (la société nationale pour l’exploitation du fer), la MCM (cuivre) et Kinross Tasiast (or), –les trois plus grandes entreprises minières du pays–, y sont soumises. En dédommagement des nuisances sur l’environnement, elles paient des subsides pour les écoles, les centres de santé ou bien fournissent des équipements et des installations pour les villages.
«C’est une manière de compenser les populations environnantes. Car celles-ci ont droit à des contreparties, puisque ces sociétés sont venues s’installer chez elles. Les montants estimés dans le cadre de cette RSE s’élèvent à 3,4 milliards d’ouguiyas (7,82 millions d’euros) soit 3,5% de la totalité des revenus miniers déclarés. Ce qui ne suffit pas à compenser les nuisances occasionnées», reconnaît Aminetou Bilal.
Dans son collimateur notamment, la maladie provoquée par l’extraction des minerais que l’on appelle la silicose. «Beaucoup de travailleurs de ces compagnies minières en sont atteints, ce qui nuit directement à leurs activités et à celles de leurs employeurs», révèle cette experte.
Malgré les lois en vigueur encadrant l’orpaillage, une partie de la population, saisie par la fièvre de l’or, est partie s’installer de façon plus ou moins anarchique à Chami (100 kilomètres au nord de Nouakchott). Un vrai casse-tête pour le ministère mauritanien des Mines qui se heurte, en plus de la fraude fiscale, à toutes sortes de trafic sur ce site.
«La corruption ne va pas disparaître si les populations ne prennent pas d’abord conscience qu’elles-mêmes doivent adopter les bons réflexes et que cela doit ensuite se propager jusqu’au sommet de l’État», assène la militante environnementaliste, qui suit de très près la situation à Chami dans le cadre de ses activités professionnelles.
Aussi, dans un monde post Covid-19, elle souhaite que les citoyens réalisent qu’ils «ont le droit de demander des comptes sur la manière, le pourquoi et le comment des fonds qui sont déboursés et de leur destination», martèle-t-elle.
Le test des sacs plastiques
En attendant, pour Aminetou Bilal, l’Afrique gagnerait à s’inspirer du pays des mille collines.
«Le Rwanda est un modèle en matière de gestion des déchets en Afrique et, notamment, la manière dont il s’est débarrassé des plastiques. Compte tenu du manque de volonté politique de la plupart des autres pays africains ne serait-ce que sur cette question, la société civile va devoir s’en mêler pour imposer des solutions», estime-t-elle
Même si les plastiques sont bannis en Mauritanie depuis 2011, il n’est pas rare d’en trouver sur les marchés, déplore-t-elle.
La pratique du Um Uganda Day, qu’elle a pu constater en visitant Kigali, lui paraît tout aussi salutaire: au Rwanda, chaque dernier samedi du mois est consacré à l’entraide entre voisins pour faire des réparations ou des améliorations dans son quartier. Un esprit de solidarité que le gouvernement rwandais a su inculquer à ses citoyens, en plus de se doter des moyens de mener une politique environnementale audacieuse.
Un modèle qu’elle estime être la voie à suivre pour l’ensemble du continent.