L’Afrique est un continent parmi les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Dans un contexte de crise internationale engendrée par le Covid-19, le continent fait face à des choix particulièrement ardus dans la perspective du financement de son développement résilient et décarboné.
Dans son sixième rapport (en cours de finalisation), le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) fait apparaître un résultat clé concernant l’Afrique : le continent connaît déjà davantage de phases de chaleur extrême, davantage de sécheresse mais aussi de précipitations exceptionnelles que dans un passé récent. Ces phénomènes, auxquels s’ajouteront la hausse du niveau marin et donc des risques accrus de submersion des zones côtières, vont inexorablement se renforcer dans les décennies qui viennent, quand bien même les pays les plus émetteurs de CO2 de la planète parviendraient à réduire considérablement leurs propres émissions.
Ils interviennent qui plus est dans des sociétés particulièrement vulnérables à ces bouleversements. Au Sahel notamment, la résilience est compromise par le poids critique de l’agriculture dans les économies locales, les fortes pressions démographiques et les faibles niveaux de développement.
Vulnérabilité au changement climatique
Les stratégies climatiques mises en œuvre au niveau national et les investissements écologiques doivent sans aucun doute être renforcés, mais dans un cadre macroéconomique et financier renouvelé qui soutienne en même temps une amélioration des niveaux de vie et une transition juste. La lutte contre le changement climatique – qu’il s’agisse de la mise en œuvre des contributions nationales (les NDC ou nationally determined contributions) ou des objectifs plus ambitieux de neutralité carbone à moyen/long terme – représente en Afrique un défi croissant pour les politiques budgétaire et monétaire, et plus largement pour le financement des économies.
Les stratégies climatiques mises en œuvre au niveau national et les investissements écologiques doivent sans aucun doute être renforcés, mais dans un cadre macroéconomique et financier renouvelé qui soutienne en même temps une amélioration des niveaux de vie et une transition juste. La lutte contre le changement climatique – qu’il s’agisse de la mise en œuvre des contributions nationales (les NDC ou nationally determined contributions) ou des objectifs plus ambitieux de neutralité carbone à moyen/long terme – représente en Afrique un défi croissant pour les politiques budgétaire et monétaire, et plus largement pour le financement des économies.
Dans le même temps, les financements internationaux des politiques climatiques de l’Afrique sont encore très largement insuffisants par rapport aux engagements pris par les pays développés. C’est particulièrement vrai pour ce qui concerne les pays les moins avancés, qui peinent à accéder aux fonds. Mais ça l’est aussi pour tous les pays africains du fait des conséquences financières durables de la crise du Covid-19 en 2020. Cela se traduit par un triple enjeu financier pour l’Afrique.
Premier enjeu: le volume des financements internationaux nécessaires
Selon le Climate Funds (novembre 2020), la mobilisation des financements internationaux vers les pays en développement atteignait près de 80 milliards de dollars en 2018, avec seulement 25 % des fonds alloués à l’Afrique et 9 % pour les pays à faible revenu (PFR). À l’occasion de la CoP26 à Glasgow, prévue en novembre, de nombreux pays africains attendent un bilan des engagements pris par les pays développés envers les pays en développement et émergents lors de la CoP21 : celui d’un de transfert de 100 milliards de dollars dès 2020. Il faut toutefois noter que cet objectif des 100 milliards de transferts, d’une forte portée diplomatique et symbolique, n’est lui-même en aucun cas un étalon des besoins d’investissement des pays en développement pour un développement décarboné.
Deuxième enjeu : la répartition des financements entre atténuation et adaptation
Faibles dans les pays avancés (8 %), les financements d’adaptation sont majoritaires dans les pays à faible revenus (pour la plupart en Afrique) car ils s’inscrivent dans les stratégies de développement durables de ces pays. Ces investissements sont toutefois pénalisés, depuis la crise du Covid-19, par l’érosion des marges de manœuvre budgétaires des pays développés comme des pays en développement.
Pour répondre plus largement aux besoins de financement de l’Afrique d’ici 2025 (estimés à 285 milliards de dollars, selon le FMI), il peut s’avérer nécessaire (Jacolin, Cabrillac, 2021) de renforcer le filet de sécurité financière, notamment celui du FMI. Mais il s’agit aussi de l’adapter à la nouvelle donne climatique.
Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer les financements d’atténuation nécessaires pour parvenir à la neutralité carbone. L’Afrique contribue peu au réchauffement climatique (4 % des émissions mondiales). Mais une croissance économique et démographique forte, associée à des besoins d’infrastructures notamment énergétiques, mais aussi à des délocalisations pousse les émissions à la hausse. Les débats actuels portent d’un côté sur la possibilité de généralisation des marchés et des prix du carbone, actuellement absents sur le continent (sauf en Afrique du Sud). Le FMI vient de proposer à ce sujet la mise en place d’un prix plancher international du carbone, différencié par niveau de développement. De l’autre côté, ils portent sur les modalités de la mobilisation des financements publics et privés, au travers notamment d’une redéfinition du rôle des banques publiques de développement.
Troisième enjeu : la stabilité financière
Le changement climatique affecte les rendements (et la valeur) des actifs financiers et, inversement, les choix de placements des investisseurs dans des actifs financiers peuvent aggraver le changement climatique. Cette double matérialité du système financier amène les autorités monétaires et bancaires à adapter leurs outils d’analyse des risques, comme récemment au Maroc, leurs mécanismes opérationnels et leurs objectifs. En Afrique, cette adaptation doit notamment prendre en compte le faible développement financier, qui limite la transmission de la politique monétaire et, dans des petites économies ouvertes, l’importance de la politique de change. Les politiques financières en Afrique doivent enfin déterminer les incitations souhaitables pour orienter les décisions d’investissement en faveur des secteurs « verts » et les effets de levier que peuvent procurer les banques de développement.
Renforcer la résilience africaine face au changement climatique
La forte vulnérabilité au changement climatique en Afrique s’explique par une forte exposition aux effets du réchauffement climatique couplée à de faibles capacités d’adaptation. Cette faible résilience est due autant aux structures économiques (poids critique de l’agriculture) qu’aux difficultés à mobiliser les ressources internes.
Le premier levier pour favoriser la résilience consiste à accroître les marges de manœuvre des États africains afin de permettre la mise en œuvre de filets de sécurité pour les populations les plus vulnérables. Une étude récente montre que les recettes fiscales s’élèvent en moyenne à 13 % du PIB en Afrique alors que ce ratio pourrait atteindre 23 % si tout le potentiel fiscal était exploité. De nécessaires réformes fiscales sont donc indispensables afin de financer les dépenses additionnelles induites par le changement climatique en Afrique. Ces réformes fiscales pourraient d’ailleurs inclure un volet environnemental à travers des mécanismes de tarification du carbone.
Le renforcement des systèmes financiers locaux est un élément indispensable pour construire des économies résilientes. Une résilience face aux chocs peut passer à court terme par un marché de l’assurance à ce jour presque inexistant dans de nombreux pays africains. Peu d’agents économiques sont couverts contre les risques climatiques en dépit du poids de l’agriculture dans ces économies. Le développement du marché de l’assurance fait néanmoins face à un problème de solvabilité de la demande. Certaines innovations pourraient néanmoins se déployer, allant de la couverture des agriculteurs dans des pays à faible revenu (à travers des assurances indicielles) à la mise en œuvre de nouveaux outils de réassurance dédiés au risque climatique à une échelle globale.
À moyen et long terme néanmoins, le marché de l’assurance ne saurait assurer à lui seul l’ampleur des impacts climatiques encourus dans un scénario au fil de l’eau. La construction à l’échelle globale et à brève échéance d’une véritable neutralité carbone reste la meilleure assurance possible face à un risque systémique.
Le rôle clé des banques de développement
Pour cela, les systèmes bancaires ont un rôle à jouer dans le financement des infrastructures permettant une meilleure adaptation au changement climatique à moyen terme et le développement d’industries peu énergivores (principe d’atténuation). Les banques publiques de développement nationales ou régionales sont en particulier des acteurs essentiels de cette transformation à long terme.
Ils peuvent être complétés par des levées de ressources additionnelles sur les marchés financiers, domestiques et étrangers, via une structuration des marchés d’obligations vertes et la création d’indices et de labels. La crédibilité et le sérieux de ces outils de mesure sont essentiels pour éviter les multiples formes possibles de greenwashing. Par ailleurs, les ressources des marchés financiers ne s’investiraient pas d’elles-mêmes dans les secteurs de l’atténuation ou de l’adaptation des pays en développement sans des formes additionnelles de garanties publiques ou de de-risking auxquelles doivent contribuer les États et les banques publiques.
In fine, la mobilisation à court terme des ressources internes est rendue difficile sous la pression de conjonctures macroéconomiques elles-mêmes compliquées. La nouvelle émission de droits de tirage spéciaux (DTS) à hauteur de 650 milliards, prévue pour cette année par le FMI, permettrait d’alléger en partie cette contrainte pour les pays africains, à condition que des réallocations soient consenties par les pays développés. Le récent sommet sur le financement des économies africaines, le 18 mai à Paris, formulait ainsi l’objectif de 100 milliards réalloués à l’Afrique pour constituer le socle d’un véritable « New Deal » pour le continent.
La mobilisation des flux financiers internationaux publics, un sujet central
Les financements climatiques internationaux publics ont certes fortement augmenté mais ils demeurent limités face aux enjeux (voir plus haut). À un niveau macroéconomique, la prise en compte de la vulnérabilité climatique devrait figurer dans les critères d’allocation de l’aide internationale. Cette prise en compte permettrait de soutenir les pays les plus vulnérables au changement climatique et dont les capacités de résilience sont faibles.
Au niveau microéconomique, les effets environnementaux de chaque projet devraient devenir un critère clé dans leur sélection. Cela suppose que chaque banque de développement se dote des outils analytiques nécessaires pour évaluer ces impacts environnementaux. Certaines banques de développement, comme l’AFD, ont ainsi adopté des stratégies globales afin de prendre en compte les dimensions climat et biodiversité dans toutes les actions.
Enfin, la communauté internationale doit continuer d’accompagner les États et intermédiaires financiers dans leurs initiatives en faveur d’une restructuration de la finance autour des investissements dans un développement décarboné. Seule une action coordonnée des acteurs publics et privés, locaux et internationaux, autour de normes et de taxonomies éprouvées et transparentes, permettra de relever le défi d’une transition vers des économies africaines bas carbone et résilientes face aux changements climatiques et environnementaux.
https://ideas4development.org/