TRIBUNE – Dans le souci de booster le développement du pays, le président la République Démocratique du Congo, Félix Tshisekedi avait, en marge de la 5ème édition du Forum Investir en Afrique (FIA) qui a lieu le 10 septembre 2019 à Brazzaville, affirmé que son gouvernement travaille sur les voies et moyens pouvant permettre à son pays de transformer localement ses minerais.
A cet effet, le Chef de l’Etat estimait qu’en dehors du Grand Inga, la construction des centrales hydroélectriques de taille moyenne et des microcentrales capables de faciliter l’accès à l’eau et à l’électricité dans toutes les provinces du pays sont une nécessité pour ce modèle de développement.
Par cette vision, il est rassurant de constater que le Chef de l’Etat congolais a conscience que la transformation de minerai est liée à un meilleur accès à l’énergie.
Cependant, après une lecture attentive de la réglementation, cette ambition du Chef de l’Etat risque d’être butée à une problématique d’ordre légale qu’il faudrait résoudre à rapidement afin d’éviter le blocage éventuels nos exportations de minerais dans un avenir proche.
SITUATION AVANT REVISION DU CODE MINIER
L’ambition d’encourager une valeur ajoutée aux minerais extrait en RDC ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 2013, les ministres des mines et des finances avaient pris l’Arrêté interministériel n°0122/CAB.MIN/ MINES/01/2013 et n°782/CAB.MIN/FINANCES/2013 du 05 avril 2013, portant réglementation des exportations des produits miniers marchands dans lequel (1) les exportations des produits miniers marchands sont autorisées sous réserve de se conformer à des teneurs minimales des substances minérales valorisables contenues dans ces produits et (2) il était interdit les exportations des concentrés de cuivre et de cobalt.
En somme, cet arrêté, par la fixation des teneurs minimales des substances valorisables imposait, de fait, un niveau de traitement minimal des minerais pouvant être exportés et va même plus loin concernant le cuivre et le cobalt pour lesquelles il interdit l’exportation de concentrée donc impose en réalité une transformation du minerai.
Cependant, l’interdiction des exportations de concentrée de cuivre et du cobalt n’était pas été appliquée de manière efficiente dû notamment aux difficultés liées à la persistance du déficit énergétique en République Démocratique du Congo.
Raison pour laquelle, les ministres des mines et des finances avaient pris l’arrêté interministériel n°0794/CAB.MIN/FINANCES/2014 du 30 décembre 2014 modifiant l’arrêté interministériel n°0122/CAB.MIN/MINES/01/2013 et n°782/CAB.MIN/FINANCES/2013 du 05 avril 2013 portant réglementation des exportations des produits miniers marchands dans lequel il était stipulé, en son article 1, que « les exportations des concentrés de cuivre et de cobalt sont interdites.
Toutefois, un moratoire allant jusqu’au 31 décembre 2015 est accordé à tous les opérateurs miniers qui produisent des concentrés de cuivre et de cobalt pour se conformer à cette mesure. »
Malgré ce délai supplémentaire, les choses ne s’étaient pas améliorées. Les difficultés liées à la persistance du déficit énergétique en République Démocratique du Congo ne permettait toujours aux exploitants miniers de transformer systématiquement leur cuivre et leur cobalt avant exportation.
Raison pour laquelle les ministres des mines et des finances avaient pris l’arrêté interministériel n°0945/CAB.MIN/MIN ES/01/2015 et n° 329/CAB. MIN/FINANCES/ 2015 du 31 décembre 2015 modifiant l’Arrêté interministériel n° 0122/CAB.MIN/MINES/01/2013 et n° 782/CAB.MIN/FINANCES/2013 du 05 avril 2013 portant règlementation des exportations des produits miniers marchands dans lequel il était stipulé, en son article 1, que « les exportations des concentrés de cuivre et de cobalt sont interdites.
Toutefois, un moratoire allant jusqu’au 31 décembre 2016 est accordé à tous les opérateurs miniers qui produisent des concentrés de cuivre et de cobalt pour se conformer à cette mesure. » Par cette disposition, les ministres rallongeaient d’une année la période du moratoire quant à l’application de l’interdiction d’exportation de concentrée de cuivre et de cobalt.
Malgré cet autre délai, rien n’avait changé, les difficultés liées à la persistance du déficit énergétique en République Démocratique du Congo ne pas permis aux exploitants miniers de transformer systématiquement leur cuivre et leur cobalt avant exportation.
Raison pour laquelle les ministres des mines et des finances avaient pris l’arrêté interministériel n°0129 CAB.MIN/MINES/01/2017 et n°032/CAB.MIN/FINANCES/2017 du 08 juillet 2017 portant réglementation de la commercialisation et de l’exportation des produits minerais marchands qui stipulait, en son article 7, que « les exportations des concentrés de cuivre et de cobalt sont interdites.
Toutefois, un moratoire allant jusqu’à la résolution définitive du déficit énergétique, est accordé à tous les opérateurs miniers qui produisent des concentrés de cuivre et de cobalt. ». Par cette disposition les ministres font le choix non plus d’allonger annuellement le moratoire sur l’application de l’interdiction d’exportation de concentré de cuivre et de cobalt, mais de le maintenir tant que le déficit énergétique n’est pas résolu de manière définitive. Cela équivaut pour ma part, à un moratoire sur ladite interdiction quasi-permanent car ce n’est pas aujourd’hui que le déficit énergétique sera résolu.
Comme pour renforcer ce moratoire, les ministres des mines et des finances avaient pris l’arrêté interministériel n°913/CAB.MIN/MINES/01/2018 et n°243/CAB.MIN/FINANCES du 21 novembre 2018 portant nomenclature des produits miniers marchands dans lequel qui stipulait, en son article 5, que « l’exportation des concentrés de cuivre et cobalt est interdite. Toutefois, un moratoire jusqu’à la résolution définitive du déficit énergétique est accordé à tous les opérateurs miniers qui produisent des concentrés de cuivre et cobalt ».
Par cette disposition les ministres réaffirment la mise en place de ce moratoire à très long terme compte tenu que la résolution définitive du déficit énergétique n’est pas pour demain.
SITUATION APRES REVISION CODE MINIER
A ce stade, l’opérateur minier, notamment ceux produisant des concentrés de cuivre ou de cobalt, pourrait croire que le déficit énergétique consacre définitivement la non-application de l’interdiction des exportations des concentrés de cuivre et cobalt. Cependant le Code Minier révisé ne va pas dans ce sens. En effet, d’ici mars 2021, ce moratoire institué par l’arrêté interministériel vu plus haut ne sera plus d’application.
A ce sujet, la Loi n°18/001 du 09 mars 2018 modifiant et complétant la Loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code minier stipule effectivement en son article 342 ter que :
« les titulaires des droits miniers en cours de validité disposent d’un délai de trois ans pour procéder, sur le territoire de la République Démocratique du Congo, au traitement et à la transformation des substances minérales par eux exploitées. Le délai prévu à l’alinéa premier du présent article ne peut être réduit ou prorogé que par une modification de la présente disposition par les deux chambres du Parlement. La présente disposition produit ses effets dès l’entrée en vigueur de la présente loi (9 mars 2018)».
Au regard de cette disposition, il se dégage trois inquiétudes.
PROBLEMATIQUES
La première est que la disposition ne fixe pas de choix entre le « traitement » et la « transformation ». En effet, par l’utilisation de la conjonction de coordination « et » au lieu de « ou », nous sommes obligés de conclure que législateur exige ici, de la part des opérateurs miniers, de faire les deux opérations (Traitement et transformation).
Dans ce cas, il serait logique d’adopter l’interprétation selon laquelle les opérateurs miniers ont l’obligation de transformation des substances minérales qu’ils exploitent d’ici 9 mars 2021, le traitement n’étant désormais qu’une étape vers l’exigence finale de la transformation.
La deuxième inquiétude est que cette interprétation stricte de l’article 342 ter du Code Minier rendra de fait, l’exigence d’un minimum traitement par la fixation des teneurs minimales des substances valorisables tout à fait inutile car l’exigence finale ne sera plus le « traitement » mais la « transformation » du minerai. Pourtant, la transformation de minerai (produit fini) n’est pas l’activité principale de plupart des entreprises minières. Elles auront donc beaucoup de mal à respecter cette obligation.
La troisième inquiétude est que, compte tenu que le déficit énergétique ne sera pas résolu d’ici 9 mars 2021, les exploitants miniers seront dans l’impossibilité technique de respecter une obligation légale dont ils pourraient être sanctionnés pour non-respect
RECOMMANDATION
Pour éviter ce blocage, il faut que le gouvernement ou un député dépose soit un projet de loi ou une proposition de loi modifiant l’article 342 ter du Code Minier de la manière suivante :
« Les titulaires des droits miniers en cours de validité disposent d’un délai de deux ans pour procéder, sur le territoire de la République Démocratique du Congo, au traitement ou à la transformation des substances minérales par eux exploitées. Le ministre en charge des mines fixe par arrêté les teneurs minimales des substances valorisables. En cas de force majeur dûment constaté par les services du ministère en charge des mines, le délai prévu à l’alinéa premier du présent article peut être suspendu par le Ministre en charge des mines pour une durée ne dépassant pas une année renouvelable. La présente disposition produit ses effets dès l’entrée en vigueur de la présente loi. »
CONCLUSION
Nous sommes actuellement en avril 2020, la problématique peut nous paraître lointaine. Mais c’est justement cette absence de perspective permanente sur l’avenir qui font que nous n’appréhendons pas souvent les problèmes qui pourrait subvenir mais nous sommes constamment dans la gestion de l’urgence. Il faut être réaliste, le déficit énergique de la RDC ne permettra pas aux opérateurs miniers de de traiter ou de transformer systématiquement les minerais exploités d’ici mars 2021. Il faut, de ce fait, adapter nos lois à cette réalité pour éviter ce que l’investisseur déteste le plus « l’incertitude ».
GOUVERNER C’EST PREVOIR.
ENGUNDA IKALA, Juriste