Rio de Janeiro, la capitale du Brésil, a accueilli, du 20 au 22 juin 2012, la grande rencontre de « Rio+20 » qui a fait le bilan sur la terre. Cette conférence servi de plate-forme d’expressions pour plusieurs Présidents et Chefs de gouvernement des pays du monde présents à ces assises, de faire le point et de donner leurs avis sur la situation climatique planétaire depuis les engagements pris 20 ans plus tôt dans cette même ville, en 1992. Parmi les Chefs d’Etats présents à cette rencontre, l’on peut citer le Professeur Alpha CONDE, Président de la République de la Guinée. Il nous a livré ses impressions sur les conclusions de ce sommet.
Afrique Environnement Plus : Excellence, Monsieur le Président, qu’est-ce qui a été conclu à l’issue de Rio+20 ?
Alpha CONDE: le constat fait est que l’espoir qu’avait suscité Rio + 20 n’a pas été concluant, puisque les dangers que nous prévoyions tels que l’aggravation de la pauvreté, les atteintes à l’écosystème, l’augmentation de l’illégalité,sont devenus des réalités. Nous avons espéré que Rio +20 allait nous permettre d’avancer, mais vous avez constaté, vous-même, l’absence des grands tels que Barack Obama, le président des Etats Unis, Angela Markel, la chancelière Allemande, le Chinois, Jin Tao et le Premier Ministre anglais, John Cameron. Un autre constaté très capital, beaucoup de nos préoccupations n’ont pas été prises en compte dans le document final. Face à cette réalité, nous nous sommes réunis et avons délégué le Président Denis Sassou Nguesso, pour rencontrer la Présidente du Brésil, Dilma ROUSSEFF, afin de lui faire comprendre notre indignation du fait que toutes nos préoccupations n’ont pas été prises en compte. C’est autant dire que l’équilibre atteint était très fragile et que si nous voulions le remettre en cause, il y aurait des gens qui risqueraient de se retirer. Donc, nous avons fait une réunion des Chefs d’Etats et nous avons constaté qu’il y a quelques avancées, même si nous n’avons pas eu entière satisfaction il vaut mieux peu que rien et il vaut mieux un accord à minima que rien. Sur ce, nous sommes décidés à continuer notre combat pour faire avancer les idées qui sont fondamentales pour l’Afrique.
Afrique Environnement Plus : l’Afrique semblait avoir mis toute son énergie sur ce sommet ainsi que sur le projet de l’économie verte, comment percevez-vous cette notion d’économie verte dans votre pays et pensez-vous que c’est de là que pourrait venir de l’Afrique ?
Alpha CONDE: Tout d’abord, je tiens à vous rappeler que les préoccupations fondamentales pour nous, c’est d’abord le financement, parce que quand on parle de développement durable, il faut le financement. Ensuite, nous avons le transfert de technologie et enfin, c’est la création d’une véritable agence qui réunirait tous les acteurs de l’environnement et dont le siège serait à Nairobi. Et là, nous avons eu la satisfaction de voir que le président français a défendu ces positions. Donc, nous allons continuer la bataille pour obtenir ces trois choses. L’avantage de la Guinée,nous sommes le château d’eau de l’Afrique de l’ouest, nous avons un avantage que les autres pays n’ont pas. Avec nos hauts plateaux du Foutan, un peu comme au Kenya. Nous avons la forêt, mais le grand problème : est la coupe sauvage du bois qui est un danger. Dès mon élection comme président, j’ai interdit l’exploitation du bois, car la Guinée a suffisamment de richesses. Désormais, l’octroi des licences à la plantation des bois est conditionné : plantez d’abord avant de commencer à couper. Notre combatc’est de lutter contre la coupe clandestine. Quant à l’économie verte, c’est la solution dans la mesure où nous avons besoin d’utiliser une économie propre. Et aujourd’hui, la première énergie propre en Guinée c’est l’énergie hydraulique. Actuellement, nous sommes en train de construire le barrage du Kalita, qui va faire 250 mégawatts. Et s’en suivra la construction du new. D’ici la fin de l’année, nous allons commencer le barrage de Mfoumi qui fait 100 mégawatts. A côté des barrages dont je viens de vous énumérer, nous avons deux grands barrages, qui sont les plus grands barrages après Eyinga 1 et Eyinga 2. Si nous finissons ces barrages, non seulement nous pourrons donner une énergie propre à la Guinée, mais aussi à tous les pays voisins. La deuxième chose, c’est le systèmephotovoltaïque que nous utilisons actuellement avec l’énergie solaire, et nous procédons à l’éclairage public de toutes les villes de Guinée par les poteaux solaires. Notre défi, mettre l’accent sur l’hydraulique, parce que nous avons plus d’une cinquante-une possibilités de barrages de plus de 50 à 100 mégawatts voire au-delà. A l’avenir, il nous faut éviter les erreurs que les pays développés ont commises en développant l’industrie sans tenir compte de la nature. Il faudrait que nous fassions le développement industriel en préservant strictement la nature. Voilà pourquoi nous nous battons pour l’économie verte.
Afrique Environnement Plus : Quel est le plan B de l’Afrique du fait que les financements jusqu’alors annoncés n’ont toujours pas été mis à sa disposition ?
Alpha CONDE: les 30 milliards annoncés n’ont jamais été disponibles, mais, il y a, actuellement, des propositions. Le président, par exemple, français a fait la proposition de la taxation des plus values ; donc, nous espérons que cette position pourra être partagée par les autres, parce qu’il a dit qu’une partie de cette fiscalité ira aux pays en voie de développement. Et, il a ajouté, qu’il ne fallait pas prendre la crise européenne comme prétexte pour ne pas assurer le financement. Cependant, il faut que nous voyions nous-mêmes dans quelle mesure nous pouvons unir nos forces avec les pays émergents tels que le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, pour essayer de trouver une solution de financements. Il y a également, les pays arabes qui ont beaucoup de fonds. Car nous pensons que ces pays peuvent tirer des leçons avec ce qui est arrivé à Ben Ali, Hosni Moubarak et Kadhafi, c’est-à-dire que si vous avez de l’argent en Europe, en cas de malheur, vous risquez de tout perdre. Et d’autant plus que certains pays arabes veulent se lancer dans la production de l’aluminium, or, la bauxite d’où l’Afrique en regorge les 2/3 de la réserve mondiale de bauxite. Face à cette réalité, les pays africains doivent trouver un financement alternatif par rapport à ce que nous attendons des grandes puissances.
Afrique Environnement Plus : Monsieur le Président, peut-on dire que le sommet de Rio +20 était un échec pour les pays africains ?
Alpha CONDE: de l’avis de la société civile, ce sommet a été un échec !De notre avis, nous reconnaissons que nos trois revendications principales n’ont pas été prises en compte à savoir, le financement, le transfert de technologie parce que l’économie verte demande une nouvelle technologie, et la création d’une agence spécialisée à l’environnement. Mais il est quand même prévu qu’il y ait un système de financement. Ce qui est plus important, l’Afrique a pu faire un front commun à Rio+20. Le plus fondamental pour l’Afrique. Aujourd’hui, sur le programme de l’environnement, nous avons un seul porte-parole en la personne du Président Denis Sassou Nguesso qui, a parlé au nom de toute l’Afrique. Il est donc fondamental pour toute l’Afrique que nous ayons une position commune, cela nous donne la force de nous battre pour faire passer nos idées et ça c’est le plus grand progrès que l’Afrique ait accompli dans ce domaine. Au-delà des questions environnementales, nous avons d’autres revendications d’ordre politiques, à savoir la participation de l’Afrique au Fonds Monétaire Internationale (FMI) et à la Banque Mondiale et l’obtention d’un poste de membre permanent au Conseil de Sécurité, etc. sur ces questions, il y a moins d’unité. Cependant, sur le plan de l’environnement, toute l’Afrique parle d’une seule voix.
Afrique Environnement Plus : Parlant du porte-parole de l’Afrique, nous l’avons suivi lors d’une réunion qui rassemblait plusieurs Chefs d’Etats, il a été dur vis-à-vis des pays pollueurs et il les a même fustigés de ce que les financements annoncés voilà bientôt trois ans ne viennent toujours pas. Vous en tant que chef d’état, quelle est votre position vis-à-vis des pays pollueurs?
Alpha CONDE: Le Président Sassou l’a si bien dit, mais c’est une question de rapport de force. Nous sommes conscients que nos forces n’égalent à celles des pays puissants d’où nous n’avons pas la possibilité d’imposer nos points de vue actuellement. La leçon à retenir, plus nous sommes unis, plus nous nous battons ensemble, plus nous aurons la possibilité de convaincre les autres. N’oublions pas que l’essentiel des matières premières se trouve aujourd’hui en Afrique et que le continent d’avenir pour le développement, c’est en Afrique que le taux de croissance est le plus élevé. Notre principale bataille, c’est d’ailleurs ce que je conseille à mes amis, c’est de faire comprendre aux européens, que leur meilleure chance, c’est l’Afrique ! C’est une coopération gagnant-gagnant. C’est-à-dire, au lieu de faire la délocalisation en Asie, on peut la faire en Afrique qui, somme toute, est proche et où l’on trouve aussi une main d’œuvre à bon marché. Donc, c’est à nous d’amener le changement d’attitude. Au lieu qu’on parle toujours de l’aide, qu’on parle plutôt d’une coopération gagnant-gagnant. A savoir, la délocalisation d’un certain nombre d’usines en Afrique qui va, non seulement, leur permettre de produire à moindres coûts, mais aussi faire disparaître le phénomène d’immigration clandestine.
Afrique Environnement Plus : Certains Etats présentent, aujourd’hui, une situation de vulnérabilité due au changement climatique. Qu’en est-il au niveau de la Guinée ?
Pr. Alpha CONDE: c’est difficile de dire que le changement climatique n’a pas quelques effets sur la Guinée, parce que quand j’étais jeune, à Conakry, il pouvait pleuvoir pendant une semaine à grosses gouttes sans arrêt, mais cela n’est plus le cas. La Guinée a toujours une très grande pluviométrie, nous ne sommes pas encore un pays sahélien, mais, nous avons intérêt à faire attention. Avant, on pouvait fleuve Niger, mais maintenant c’est impossible, mais aujourd’hui avec la construction du barrage de Mfoumi, cela aura l’avantage de réguler le fleuve Niger et le rendre de nouveau navigable. Donc, l’avantage de la Guinée c’est d’avoir beaucoup de fleuves et une grande pluviométrie, mais si nous ne protégeons pas nos forêts, nous pourrons être menacés. Ce qui est vrai, les conséquences climatiques pour la Guinée sont moins graves par rapport à d’autres pays. C’est maintenant que nous devons prendre les plus grandes décisions à savoir, la reforestation, la construction des barrages.Pour le développement agricole, pour éviter que les conséquences de l’évolution climatique ne pèsent sur nous. Et en même temps, ça peut aider les autres pays africains, parce que si nous régulons le fleuve du Niger, cela aiderait le Mali, le Tchad et le Niger.
Interview réalisée par Raoul SIEMENI et Carine OYOMA