Plusieurs pays africains se tournent de plus en plus vers les ressources en eau non conventionnelles comme le dessalement. Cette nouvelle politique en faveur du dessalement découle de la raréfaction des ressources d’eau de surface et souterraines dans certaines parties du continent. Ce stress hydrique est causé par le changement climatique et l’action de l’homme sur les rivières, les fleuves, les lacs ou encore la nappe phréatique.
Les ressources en eau de surface se raréfient dans certaines parties de l’Afrique. La situation va en s’aggravant, alors que certains pays cherchent encore à garantir l’accès de base à l’eau potable à leurs populations. Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), le taux de personne disposant d’un accès sécurisé à l’eau potable n’est passé que de 17,9 % à 23,7 % en Afrique subsaharienne depuis 2000. Et le stress hydrique devrait encore s’aggraver. À en croire l’ONU, d’ici 2030, 75 à 250 millions de personnes en Afrique vivront dans des zones où le stress hydrique sera important. L’organisation internationale indique par ailleurs que ce phénomène entraînera probablement le déplacement de 24 à 700 millions de personnes, car les conditions de vie seront de plus en plus difficiles.
Selon certains chercheurs, les pénuries d’eau pourraient aussi être à l’origine de conflits à Afrique. Les prémices d’un tel dénouement ont été observées au sujet de la construction du barrage de la Renaissance sur la partie éthiopienne du Nil. Craignant les conséquences de la retenue d’eau sur son approvisionnement en eau à partir du Nil, l’Égypte a même menacé l’Éthiopie d’une intervention militaire pour stopper la construction de ce grand barrage qui stockera 10 millions de m3 d’eau. Situés en aval du barrage, l’Égypte et le Soudan craignent une diminution du débit du Nil, un fleuve essentiel pour l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation dans les deux pays. Un compromis sur le temps de chargement de la retenue n’ayant pas pu être obtenu, l’Éthiopie vient de déployer l’armée pour assurer la garde de son barrage.
En 2012, l’ONU prévoyait déjà qu’après 2022, l’eau serait plus susceptible d’être utilisée comme une arme de guerre et un outil potentiel de terrorisme, en particulier en Afrique du Nord. Le stress hydrique à l’origine des tensions actuelles et futures est aussi causé par le changement climatique qui entraîne l’évaporation de l’eau et modifie le régime des précipitations, ce qui rend les efforts de collecte de l’eau encore plus difficiles. En conséquence, les États africains se tournent de plus vers des sources d’eau non conventionnelles, tel que le dessalement, pour faire face à la pénurie d’eau.
Le dessalement, une alternative pour les pays côtiers
Le dessalement est un processus par lequel l’eau saumâtre ou salée est transformée en eau douce. Ce procédé est appliqué dans les stations de dessalement qui traitent de l’eau pompée en mer ou dans les lacs salés. Il existe actuellement deux techniques de dessalement. La plus utilisée par les usines en Afrique est l’osmose inverse qui repose sur le principe d’une séparation sel-eau faisant appel à une membrane semi-perméable. La seconde méthode de dessalement est l’électrolyse, moins adaptée pour le traitement de l’eau de mer.
En Afrique, le dessalement était jusqu’ici principalement utilisé pour produire de l’eau douce destinée à la consommation des populations. Mais, de plus en plus, des usines sont construites pour fournir de l’eau utilisée pour l’irrigation des plantations. C’est le cas de la station de dessalement de dessalement d’Agadir (au Maroc), actuellement en construction, avec une capacité attendue de 275 000 m3 par jour. Une partie de l’eau traitée, c’est-à-dire 125 000 m3 par jour, alimentera un système d’irrigation dans la plaine de Chtouka, au centre-ouest du Maroc.
Des stations de dessalement servent aussi à l’approvisionnement en eau des usines ou des mines. C’est le cas à l’ouest du Maroc où l’eau traitée par la station de dessalement de l’eau de mer de Jorf Lsfar (25 000 m3 par jour) sert à l’alimentation d’une mine de phosphate du groupe OCP (Office chérifien des phosphates). En Afrique du Sud, l’un des pays africains les plus touchés par les pénuries d’eau ces dernières années, Lucky Star, un fabricant de conserves de poissons s’est doté de deux usines de dessalement d’eau de mer privées à Laaiplek et Amawandle Pelagic, sur la côte ouest du pays, avec une capacité cumulée de 624 m3 par jour.
Le dynamisme du marché du dessalement de l’eau de mer
Le stress hydrique qui s’installe progressivement dans certaines parties d’Afrique devrait pousser d’autres pays à se tourner vers le dessalement. La plupart des projets sont actuellement localisés dans les pays d’Afrique du Nord, notamment en Égypte où le gouvernement fait la promotion de cette ressource en eau non conventionnelle. Ainsi, plusieurs projets sont développés en ce moment dans les gouvernorats côtiers.
Pour décupler les investissements dans le dessalement, le pays des pharaons mise sur le partenariat public privé (PPP) qui a déjà permis à plusieurs entreprises d’obtenir des concessions. C’est le cas de Metito, une entreprise émirienne, qui s’est alliée à la compagnie égyptienne Orascom Construction, pour lancer la construction d’une station de dessalement d’eau de mer à El-Arich, dans le gouvernorat du Sinaï-Nord. La première phase du projet doit permettre d’obtenir une capacité de 100 000 m3 par jour. La capacité de l’installation sera ensuite portée à 200 000 m3 par jour dans la deuxième phase. Metito et Orascom Construction vendront l’eau produite à la Holding Company for Water and Wastewater (HCWWW), l’entreprise qui assure le service public de l’eau en Égypte.
Selon Vasundhara Barawkar, analyste chez Orbis Research, le marché du dessalement devrait encore se développer au cours des cinq prochaines années. « La technologie du dessalement est utilisée depuis quelques décennies au Moyen-Orient et en Afrique » indique Vasundhara Barawkar. Il ajoute que « la présence de secteurs industriels à forte intensité d’eau, tels que la métallurgie, l’agriculture, le pétrole et le gaz ainsi que la fabrication de produits chimiques, devrait accroître les besoins en eau potable dans ces régions, ce qui devrait élargir le champ de la croissance du marché du dessalement d’ici 2025 ».
En Afrique du Sud par exemple, face aux pénuries d’eau des dernières années, certaines entreprises se sont tournées vers le dessalement de l’eau de mer pour approvisionner leurs usines. C’est le cas de Lucky Star, un fabricant de conserves de poisson. La société a acquis deux usines de dessalement construites par l’entreprise sud-africaine ImproChem en partenariat avec Suez Water Technologies & Solutions, une filiale du groupe français Suez. Les deux stations fournissent 624 m3 d’eau douce par jour.
En Namibie, l’un des pays les plus arides du continent africain, les investissements dans le dessalement sont destinés à l’approvisionnement des populations. Le pays dispose d’un large accès à la mer, et compte exploiter ce potentiel, en développant notamment le projet de dessalement de Walvis Bay, dans le cadre d’un partenariat avec son voisin botswanais. L’eau produite par cette station sera partagée entre les deux pays. La part botswanaise devrait être pompée vers la capitale Gaborone via une canalisation qui partira de l’usine de dessalement de Walvis Bay, soit au moins 1 490 km de distance. Au-delà de ce projet qui est encore à un stade embryonnaire, des petites unités de dessalement sont construites dans plusieurs localités en Namibie pour l’approvisionnement des populations. Ces installations sont réputées être énergivores.
La consommation d’électricité et l’impact environnemental des stations de dessalement
La consommation en électricité est d’ailleurs l’un des obstacles qui freinent le développement du dessalement de l’eau de mer sur le continent africain. Le système d’osmose inverse utilise la pression pour séparer le sel de l’eau. Une telle pression nécessite une grande quantité d’électricité. Certains chercheurs pensent que la quantité d’énergie consommée par une usine de dessalement, qui fournit de l’eau à 300 000 personnes, équivaut à la puissance d’un jumbo jet, un avion à réaction de grande capacité, comme le Boeing 747 (gros porteur). Dans le contexte africain marqué dans la plupart des pays par une production électrique déficitaire, des résistances pourraient naître pour considérer le choix du dessalement comme une alternative crédible pour faire face au stress hydrique.
De fait, une usine de dessalement est souvent perçue comme une installation contribuant aux émissions de CO2 dans l’atmosphère. Le dioxyde de carbone est à l’origine du réchauffement de la planète qui engendre la sécheresse dans plusieurs parties du continent africain. Il faut aussi mentionner la menace que représente le dessalement sur la biodiversité marine. Les prises installées pour pomper l’eau de mer aspirent des micro-organismes comme le plancton et les larves de poissons qui constituent la base des chaînes alimentaires en mer. Sans compter les rejets de sel qui, s’ils sont mal maîtrisés, peuvent affecter la biodiversité marine des zones côtière.
Le dessalement via les énergies renouvelables
Le seul moyen de réduire l’impact des usines de dessalement est de les connecter à une source d’énergie propre. Dans certains projets de dessalement comme celui d’Agadir au Maroc, la question de la consommation d’électricité de la future installation a été prise en compte. Ainsi, l’entreprise espagnole Abengoa, qui construit cette usine, mettra en place « le système des échangeurs de pression qui est issu de la filtration sous haute pression, ce qui permet de récupérer l’énergie et de réaliser un impact très positif sur le coût de l’énergie, qui s’en trouve réduit d’à peu près 43 % par mètre cube produit ».
De plus, l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (Onee) du Maroc construira une ligne de transmission qui reliera la station de dessalement d’Agadir à la sous-station de Tiznit. Ainsi, l’électricité qui alimentera la future installation sera-t-elle produite par un parc éolien ce qui contribuera à diminuer son impact sur l’environnement.
Le déploiement des systèmes conteneurisés alimenté à l’énergie solaire
Dans certaines zones difficiles d’accès, le meilleur moyen pour fournir de l’eau douce aux populations est de recourir à de petits systèmes décentralisés. Ainsi, plusieurs entreprises et organisations optent pour le déploiement de systèmes de dessalement conteneurisés, alimentés à l’énergie solaire. Ces petites stations de dessalement sont mobiles et faciles à déployer dans les zones rurales.
Récemment, Phaesun, un fournisseur allemand de solutions pour les systèmes d’alimentation électrique autonomes, a installé deux petits systèmes de dessalement d’eau, alimentés à l’énergie solaire à Ndedo, un village de la communauté Maasaï en Tanzanie. Ces petites installations fournissent 2 m3 d’eau potable par jour aux populations locales.
Un système conteneurisé a également été installé dans la municipalité de Hessequa située à plus de 3 heures de route de la ville du Cap, en Afrique du Sud. L’usine conteneurisée, qui fonctionne à l’énergie solaire, a été installée en 2018 par la start-up française Mascara Renewable Water.
Alimentée à l’énergie solaire, la petite usine affiche une capacité de production de 300 m3 par jour. Mascara Renewable Water veut diffuser sa solution dans le reste de l’Afrique. C’est ainsi qu’en 2019, la jeune pousse a noué un partenariat avec Vergnet Hydro, une entreprise française qui construit des adductions d’eau potable en Afrique. Les deux entreprises veulent traiter l’eau saumâtre dans les pays comme le Mozambique, le Burkina Faso, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Niger, la République démocratique du Congo (RDC) et le Sénégal.
Comme quoi, il n’est pas absolument nécessaire d’avoir un accès à la mer pour dessaler de l’eau. Même si, les 35 pays africains disposant d’une façade maritime sont évidemment les premiers concernés par l’option du dessalement : Afrique du Sud, Algérie, Angola, Bénin, Cameroun, Cap-Vert, Comores, Côte d’Ivoire, Djibouti, Égypte, Érythrée, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée Bissau, Guinée Équatoriale, Kenya, Liberia, Libye, Madagascar, Maroc, Mauritanie, Mozambique, Namibie, Nigeria, République du Congo, République démocratique du Congo, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tanzanie, Togo et Tunisie.
Jean Marie Takouleu