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Interview AEP

Son Excellence Ahmed ALLAM MI, SG CEEAC

A moins de deux ans de la fin du programme des Ecosystèmes Fragilisés d’Afrique Centrale (ECOFAC), financé par l’Union européenne, le Secrétaire Général de la CEEAC, Son Excellence Ahmed ALLAM MI, nous dresse le bilan à mi-parcours dans cette interview accordée à notre magazine.

 

La CEEAC est le maître d’ouvrage du programme Ecosystèmes Fragilisés d’Afrique Centrale (ECOFAC V) financé par l’Union Européenne pour une durée de quatre ans et dont la convention fût signée le 17 décembre 2010. Que pensez-vous de la pertinence de ce programme dans le contexte de l’Afrique Centrale? Quel jugement portez-vous sur l’état d’avancement de ce programme à moins de deux ans de la clôture dudit programme ?

 

Parlant de la pertinence, l’objectif du programme est conforme aux recommandations des engagements pris par les Etats au niveau international et continental, notamment aux sommets de Rio en 1992 et Rio + 20, organisé au Brésil en juin 2012  ainsi qu’au Sommet mondial sur le Développement Durable de 2002.

Sur le plan continental, il répond au cadre institutionnel régional puisque la CEEAC, en tant que Communauté Economique Régionale (CER) choisie par l’Union Africaine comme organisation régionale de référence pour la mise en œuvre des activités du NEPAD en matière d’environnement et de gestion des ressources naturelles.

Sur le plan sous-régional, le programme ECOFAC V est orienté par les deux outils politiques adoptés par les Chefs d’Etat. Il s’agit du Plan de convergence mise en œuvre par la COMIFAC et la politique générale en matière d’environnement et de gestion des ressources naturelles mis en œuvre par la CEEAC adoptés respectivement en 2005 et 2007 par les Chefs d’Etat de la sous-région.

Cette pertinence tient également au fait que les objectifs du programme visent à satisfaire les attentes socio-économiques et écologiques adoptés par les Etats, notamment en ce qui concerne le développement du lien entre la conservation et le développement économique, notamment l’amélioration des conditions de vie des populations.

La prise en compte de l’économie des aires protégées sous concession et sans concession, la lutte contre l’exploitation illégale du bois, la lutte anti braconnage et la formation est une satisfaction et une avancée vers la réalisation de la vision de la sous-région en matière de la mise en œuvre du développement durable en général et l’économie verte en particulier.

 

Le programme ECOFAC V concerne sept des dix Etats membres de la CEEAC.  Pensez-vous que le budget de 30 millions d’euros  soit  suffisant pour atteindre les objectifs fixés dans la convention de financement ?

 

Ce budget semble suffisant au regard de la faible capacité d’absorption du programme.

Au stade actuel, il existe une politique de soutien satisfaisante et une bonne cohérence avec les politiques environnementales mais le fonctionnement et les activités dépendent à plus de 95% de l’apport des bailleurs de fonds. Dans la perspective de pérenniser les acquis du programme, il serait souhaitable qu’une bonne partie des activités soit financée sur fonds propre.

 

Un des volets du programme ECOFAC V porte sur la gouvernance forestière et plus précisément la coordination  des activités de la sous-région sur les questions liées aux Accords de Partenariat Volontaires – FLEGT (Applications des Règlementations Forestières, Gouvernance et Echanges commerciaux). Pourriez-vous faire un bilan des APV-FLEGT dans l’espace CEEAC ?

 

A ce jour, notre sous-région est l’une des pionnières en matière de mise en œuvre du plan d’action FLEGT de l’Union Européenne. En effet, 3 pays de la CEEAC à savoir le Cameroun, le Congo et la RCA ont déjà signé et ratifié un Accord de Partenariat Volontaire avec l’Union européenne et sont engagés dans la phase de développement des systèmes nécessaires pour contrôler, vérifier et autoriser la commercialisation du bois légal. Deux (2) pays membres de la Communauté notamment, le Gabon et la RDC sont engagés dans la phase de négociation d’un APV avec l’Union Européenne avec un niveau d’avancement assez mitigé.

Cependant, il convient de signaler que même si trois pays de la CEEAC ont déjà conclu la négociation d’un APV FLEGT avec l’UE, aucun bois accompagné d’une autorisation FLEGT n’est pour le moment, exporté vers les pays européens.

Toutefois, l’on espère que les premières autorisations FLEGT probablement du Cameroun ou du Congo pourront être délivrées d’ici 2014 ou 2015.

En guise de bilan, nous pouvons dire qu’il est assez positif au regard du contenu des APV signés par ces trois pays et du processus de négociation qui a conduit à ce résultat.

Plus que de simples accords commerciaux, les Accords de partenariat volontaires (APV) sont devenus de véritables outils destinés à l’amélioration de la gouvernance forestière dans les pays producteurs de bois de la sous-région.

En effet, tous les APV conclus à ce jour ont été négociés dans le cadre d’un processus multipartite auquel ont pris part des représentants de diverses administrations, du secteur privé et des organisations de la société civile. Ce qui a été décrit par les parties prenantes comme étant sans précédent en matière de gestion des ressources naturelles.

En termes de contenu, tous les APV conclus jusqu’à présent englobent toutes les exportations de bois et produits dérivés  actuellement exportés par le pays en question quel que soit leur destination finale.

De même, tous les APV déjà conclus incluent aussi le marché domestique, à l’exception de celui de la République centrafricaine. Ce qui représente une valeur ajoutée certaine pour l’économie locale.

Cependant, il convient de signaler que malgré ces multiples points communs, chaque APV garde sa spécificité car il est le reflet des enjeux et défis particuliers rencontrés par chaque pays et des priorités des différents groupes de parties prenantes impliqués dans le processus de négociation.

C’est pourquoi, l’une des missions de la CEEAC dans le cadre de la Composante FLEGT du programme ECOFAC V, est de documenter les leçons apprises et d’assurer le partage d’expérience entre les pays de la sous-région.

 

 

Depuis le 3 mars 2013, est rentré en application  le Règlement Bois de l’Union Européenne (RBUE) qui interdit la mise sur le marché de l’UE des bois et produits dérivés de source illicite. Pourriez-vous nous dire quelle est la réaction de la CEEAC face à cette actualité ?

 

La CEEAC en tant que Communauté Economique Régionale, soutient sans réserve l’objectif d’interdiction dans le marché de l’UE de bois récolté illégalement telle que prescrite par le RBUE.

En effet, comme l’APV, ce Règlement contribue à la réduction de l’exploitation forestière illégale en interdisant la vente de bois ou de produits dérivés illégaux sur le marché de l’Union européenne.

L’élimination du bois illégal sur l’ensemble du marché européen vient renforcer les initiatives en cours dans cinq pays de la sous-région destinées à garantir une offre de bois issue d’une récolte légale dans les pays producteurs (APV).

Il convient de rappeler à toutes fins utiles, que dans le cadre de l’APV, le pays producteur de bois s’engage à contrôler ses exportations de bois pour n’autoriser que les exportations qui sont légales ; de son côté, l’UE s’engage à n’accepter comme bois provenant de ce pays, que des importations autorisées. La finalité d’un APV étant d’assurer que les bois et produits bois exportés vers l’UE proviennent de sources légales.

La CEEAC apporte son soutien aux Etats membres producteurs de bois  pour les aider à mettre en place des  systèmes qui sont conforment aux exigences de la réglementation Bois de l’UE depuis son entrée en vigueur.

Elle facilite l’échange d’expérience entre les parties prenantes de sorte que les opérateurs puissent travailler les uns avec les autres pour recueillir les informations nécessaires pour satisfaire les exigences de la  diligence raisonnée.

De plus, la CEEAC encourage les pays en phase de développement de leur système de vérification de la légalité (Cameroun, Congo) à accélérer le processus afin que les outils mis en place servent d’éléments clés pour l’évaluation et  l’atténuation des risques d’illégalité.

L’APV confère aux entreprises de la filière bois un avantage sur le marché européen du fait que tous les produits bois accompagnés d’une autorisation FLEGT sont automatiquement conformes au Règlement Bois de l’UE et ne nécessitent pas de mesures de diligence raisonnée supplémentaires de la part des importateurs européens.

 

L’APV-FLEGT vise essentiellement le bois exporté vers l’Union Européenne. Or, nous savons qu’une partie du bois exploité en Afrique centrale est vendu localement. Quelle est la place des marchés domestiques dans ces Accords? que fait la CEEAC dans le cadre du programme ECOFAC V pour soutenir le développement du marché sous régional de bois ?

 

Le marché domestique occupe une place de choix dans tous les APV conclus à ce jour avec l’UE, à l’exception de celui de la RCA. Dans les APV du Cameroun et du Congo, les parties prenantes se sont engagés à mettre en œuvre des réformes du cadre juridique et institutionnel pour rendre plus durables les pratiques de sciage artisanal et formaliser l’approvisionnement du marché domestique en bois et produits dérivés.

En effet, Plusieurs études ont démontré que les marchés domestiques et régionaux de bois sont essentiellement approvisionnés par le secteur informel du sciage artisanal, et que ce secteur est devenu majoritaire en termes de volume de bois produits, de fourniture d’emplois et de revenus.

Dans un contexte où les États sont de plus en plus incités à garantir la légalité, voire la durabilité, de leur production, l’urgence de capter les flux de bois vers les marchés domestiques n’est plus à démontrer, car les Etats sont conscients qu’ils ne pourront se prévaloir d’une gestion durable des forêts tropicales que lorsque l’essentiel de la production de bois et produits dérivés cessera de relever de l’économie informelle.

 

Par conséquent, la mise en œuvre de l’APV offre une opportunité sans précédent pour engager des réformes visant à améliorer la contribution du secteur artisanal aux économies nationales voire sous-régionales. Ceci s’explique dans la mesure où  les APV conclus entre les pays d’Afrique centrale et  l’Union européenne, visent aussi à légaliser la production nationale de bois.

A ce jour, les APV conclus avec l’UE à l’exception de celui de la RCA ont le mérite de couvrir la totalité des bois et produits dérivés destinés à l’exportation, quel que soit la destination finale, de même que le marché domestique, les bois en transit et les bois importés pour transformation et réexportation. Ceci permet de prendre en compte les risques de contournement/déviation des flux commerciaux qui pourraient survenir à la faveur de la mise en œuvre de ces accords.

Cependant, la mise en œuvre des dispositions relatives au marché domestique dans le cadre de ces accords demeure un défi majeur, car jusqu’à présent, peu de progrès ont été réalisés pour assurer un approvisionnement du marché domestique régional en bois d’œuvre d’origine légale et durable.

Pour soutenir le développement du marché sous-régional de bois dans le cadre du programme ECOFAC V, la CEEAC a entrepris de réaliser un ensemble d’études pour améliorer la connaissance des parties prenantes sur les flux de bois qui alimentent ces marchés domestiques.

La première porte sur la production d’un document de référence à l’attention des décideurs politiques sur l’état des lieux et les voies de développement des marchés domestiques de bois et produits dérivés  d’Afrique centrale.

Il convient d’ajouter que la connaissance et le développement des marchés domestiques est une composante de l’économie du bois de l’Afrique centrale. Elle s’inscrit dans le cadre de la démarche visant la transformation structurelle à la fois du système de l’économie forestière de l’Afrique centrale en général, et celle du système de l’économie du bois de l’Afrique Centrale, un segment du Système de l’Economie Verte de l’Afrique Centrale (SEVAC) adopté par les instances sous-régionales.

 

Comment appréciez-vous le partenariat UE-CEEAC dans le domaine de la gestion des ressources naturelles ? Et comment voyez-vous l’avenir de ce partenariat ?

 

L’UE est l’un des partenaires privilégiés de la CEEAC en matière d’environnement et de gestion des ressources naturelles.

L’Union Européenne contribue depuis 1992 dans la conservation et la gestion durable des ressources naturelles et voir avant. Cette contribution est également appréciée dans le cadre des Programmes Indicatifs Nationaux (PIN) et le Programme Indicatif Régional (PIR) ainsi que d’autres initiatives. Elle est donc le premier bailleur de fond des activités en matière d’environnement et de gestion des ressources naturelles de notre sous-région. C’est l’occasion d’exprimer notre gratitude à l’endroit de l’Union Européenne pour ce soutien constant.

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Au regard des enjeux politiques, socio-économique, sécuritaires et écologiques en matière de gestion des ressources naturelles, je souhaite le développement de la collaboration entre nos deux institutions  pour que soit  poursuivies dans le cadre du 11ème FED les activités dans les trois domaines (Aires Protégées, gouvernance forestière et lutte anti braconnage) auxquelles il faudra ajouter certains secteurs retenus par les Etats dans le cadre de la mise en œuvre du Système de l’Economie Verte en Afrique Centrale, une économie adoptée par la communauté internationale au sommet de Rio +20 et par les Etats membres de la CEEAC.

Le but de cette nouvelle dynamique dans notre collaboration vise à accompagner les Etats membres dans la diversification de leurs Economies hors pétrole et hors minerais pour parvenir une croissance à deux chiffres, créer des emplois des jeunes et réduire le chômage dont le taux élevé actuel constitue un véritable paradoxe dans une zone où la croissance économique est évaluée à près de 5% par la BAD, l’OCDE et la CEA.

 

Quelle est votre vision de la cellule FLEGT et quelles sont ses perspectives ?

 

Conformément au mandat de la CEEAC en matière d’environnement et de gestion des ressources naturelles, la  cellule FLEGT régionale a un rôle de coordination et de facilitation de la mise en œuvre des activités à caractère sous-régionale qui visent à améliorer la gouvernance forestière dans la sous-région en rapport avec les Etats, les institutions spécialisées, comme la COMIFAC, dont les mandats sont en rapport avec cette thématique et les organismes internationaux présents ou non en Afrique centrale ayant des activités sous-régionales sur la gouvernance forestière.

Au niveau du Secrétariat général, la gouvernance forestière est considéré comme un segment du Système de l’Economie Forestière de l’Afrique Centrale en général et du Système de l’Economie du Bois de l’Afrique Centrale en particulier. De ce fait, il est considéré comme un outil au service de développement et de la promotion de l’économie du bois de l’Afrique centrale sur les marchés nationaux, le marché sous-régional, le marché continental et les marchés internationaux tant traditionnels que nouveaux où les consommateurs sont à la recherche du bois produit selon standards internationaux et le respects des trois piliers du développement durable.

Au regard de ce qui précède, la gouvernance forestière en général et le processus FLEGT ne doit pas être mise en œuvre en dehors de l’économie des Etats membres de la CEEAC. Pour la compréhension et l’appropriation du processus par tous les Etats producteurs et consommateurs du bois, ce processus doit s’inscrire dans le cadre de la transformation structurelle de l’économie de l’Afrique centrale en général et celle du système de l’Economie du Bois de l’Afrique centrale. Ce dernier s’articule sur plusieurs piliers : pilier politique et diplomatique, pilier institutionnel, pilier commercial et marketing, pilier juridico-fiscal, pilier recherche et formation, pilier écologie et conservation, le pilier financier et le pilier sécuritaire.

A titre d’exemple, le pilier politique et diplomatique devrait permettre l’adoption, entre autres, d’une déclaration des Ministres de la CEEAC sur le développement et la promotion de l’économie du bois de l’Afrique Centrale, d’une politique et d’une stratégie sur le développement de l’économie du bois de l’Afrique centrale et l’implications des Ambassades d’Afrique centrale à l’étranger pour le suivi du commerce du bois de l’Afrique sur les marchés extérieurs à la sous-région.

Concernant le pilier commercial et marketing, il va concerner le développement des marchés, notamment le marché sous-régional et le marché continental sur lequel se trouvent impliqués depuis plusieurs années les Très Petites Entreprises (TPE), les Petites Entreprises (PE) et les Petites et Moyennes Entreprises (PME).

Au regard de ce qui précède, la gouvernance forestière doit devenir un outil qui doit accompagner la diversification de l’économie de l’Afrique centrale, l’intégration régionale et le passage de la croissance économique actuelle d’un chiffre à deux chiffres pour qu’elle soit inclusive et créé plus d’emplois à côté du développement d’autre secteurs de l’économie verte.

Ainsi au-delà du programme ECOFAC V, la Cellule FLEGT pourrait devenir au sein du Secrétariat général de la CEEAC d’abord une composante ou un sous service voire un service avec l’évolution de l’organigramme actuel du Secrétariat de la Communauté. Pour s’adapter aux enjeux multidimensionnels de l’économie du bois, il pourra s’intituler sous-service de la gouvernance des ressources naturelles. Elle assurera la coordination et la facilitation des activités des systèmes suivants : le Sys­tème de Lutte Contre l’exploitation et le commerce du Bois Illégal en Afrique centrale, le système de Lutte contre l’exploitation illégale des autres ressources naturelles (des ressources halieutiques, énergétiques, hydriques et foncières, PFNL, etc.). Ce travail va se faire en collaboration avec les institutions spécialisées de la CEEAC et les organismes internationaux basés ou non en Afrique centrale et dont les activités portent sur ces thématiques.

 

 

Raoul SIEMENI

 

 

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