Après avoir suscité de gros espoirs, le marché du carbone manque toujours de lisibilité et reste dans l’impasse. La vente des crédits carbone représente pourtant à la fois une grande opportunité et un enjeu de développement pour les pays forestiers.
La tenue à Libreville du One Forest Summit du 1er au 2 mars 2023 a donné aux experts de divers horizons la possibilité de pousser encore plus la réflexion sur le problème du marché carbone. Pour autant, les solutions ne sont toujours pas à portée de main. Au sortir du panel de discussion organisé pendant le sommet de Libreville, les experts conviennent tout juste qu’il existe des pistes, mais rien de concret, pour l’instant, en termes de solutions.
Le problème du marché du carbone est difficile à résoudre à cause de sa complexité. « Le premier défi aujourd’hui, c’est comment transformer les crédits carbone en argent. C’est très compliqué, les discussions se poursuivent. Il y a beaucoup de pistes qu’on explore », expliqueFrancis James, représentant résident du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) au Gabon.
L’autre difficulté a trait à la mise en place d’un marché carbone et sa structuration, avant d’en arriver à organiser la vente des crédits carbone. A ce stade, deux options, diamétralement opposées, sont en présence. D’un côté, il y a le marché volontaire, largement perçu par les pays séquestrateurs comme peu attrayant à cause des coûts proposés pour l’achat de la tonne de crédit carbone. Cette dernière oscillant entre 3 et 5 dollars. Pas suffisant pour compenser les efforts consentis par les pays forestiers dans la préservation de leurs massifs forestiers et la séquestration du carbone. « Le marché volontaire est un véritable ‘’far west’’ où l’on propose des prix en deçà de 10 dollars, contrairement à ce qui est préconisé dans l’Accord de Paris. C’est-à-dire un prix de tonne de carbone compris entre 50 et 150 dollars », regrette Madame Arlette Soudan-Nonault. La ministre congolaise de l’Environnement, de l’Ecotourisme et du Bassin du Congo estime que le marché volontaire du carbone est un marché de dupe, alors même que les services écosystémiques rendus par les forêts du bassin du Congo devraient recevoir une meilleure rétribution pour financer la transition énergétique dans les pays de cet espace forestier.
En lieu et place du marché volontaire, de nombreux acteurs soutiennent plutôt la mise en place d’un marché crédit carbone dit souverain, régulé, plus juste et à même de répondre aux attentes de développement des pays forestiers. En avant-garde de cette problématique depuis des années, le Gabon a financé des études pour estimer son potentiel carbone. Le pays séquestre 14O millions de tonnes de carbone chaque année. Pendant la CoP 27 en Egypte, 90 millions de tonnes de carbone du Gabon ont été certifiées et validées par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (UNFCCC). Depuis lors, Libreville attend toujours de vendre son premier crédit carbone. « Ça fait trois mois que nos crédits carbones existent. Au niveau des États, on n’a pas remarqué un grand engouement, même si on a signé des accords internationaux. Le secteur privé vient nous voir. On est en négociations, mais on est très déçu de la réaction des États (référence faite aux pays pollueurs, Ndlr ». Lee White, Ministre gabonais des eaux et forêts, regrette l’attitude de certains partenaires avec lesquelles des négociations ont été amorcées sur la vente des crédits carbones. « Dès que le Gabon lance les discussions sur ses crédits carbone avec les pays occidentaux, c’est silence radio », conclut-il.
Selon les projections, la vente des 90 millions de tonnes de crédits carbone, à hauteur de 14 dollars la tonne, aurait généré une manne financière de l’ordre de 1,26 milliards de dollars au Gabon, soit 773,39 milliards de FCFA. Tout cela ne reste cependant, pour l’instant, que pure conjecture. Aucune vente de crédit ne se profilant à l’horizon.
Eugène MESSINA, à Libreville.